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PORTRAIT DE NICOLAS CANTELOUP
Le 28 janvier 2011
Irène FRAIN – Portrait de Nicolas CANTELOUP ( réalisé en juillet 2010 )
Europe 1, 8 h 43, à sept minutes de l’émission de Nicolas Canteloup. La dernière de la saison. De Fogiel à Guy Carlier et à l’inusable Elkabbach, toutes les grosses pointures de la station sont présentes dans le studio. Et en régie, Alexandre Bompard, le patron de la station.
Avant de rejoindre ses complices de l’autre côté de la vitre, Canteloup s’est assis à la console des techniciens et rature son texte de ce geste appliqué qu’on ne voit qu’aux gauchers. Concentration maximale. Le silence de l’humoriste-radio avant la plage de 8h50. Puis il déplie en souplesse son interminable silhouette de funambule et, tel un chat qui ne fait que frôler choses et gens, file dans le studio. Mitraille des photographes. Il la subit avec une indifférence de moine zen. Pas un œil à l’horloge. Le chronomètre, il l’a dans le ventre. Et la rigueur, chevillée au corps. Tout le monde le sait : pour être en forme, en rire, en voix, Canteloup ne s’autorise aucun écart. Jamais d’alcool ni de boîte de nuit, régime alimentaire strict, une heure et demi de cheval par jour, où qu’il soit. Ce matin comme les autres, il sera impec. Sauf qu’évidemment, en bon perfectionniste, pour cette dernière, il veut se surpasser.
8h 49. Son casque d’animateur couronne son crâne lisse comme un œuf. Il y a cinq secondes, il avait l’air d’un bonze. Il ressemble maintenant à un extra-terrestre. Doté du super-pouvoir de se transformer en qui il veut. Elkabbach, pour commencer. Non seulement la voix y est, mais aussi le phrasé, les mimiques, le regard, les tics de langage, tout cet incontrôlable qui, aussi bien que l’ADN, signe la personnalité des anonymes et celle des célébrités dont Canteloup fait ses choux gras, Sarko, Domenech, Anelka — pardon, Anelkanelloni — Frédéric Mitterrand, Stéphane Bern, Laetitia Halliday. Autour de moi, dans la régie, ça se gondole tellement au-dessus des consoles que les techniciens s’emmêlent dans leur électronique. Mais le feu d’artifice est déjà fini et, du même pas élastique que la Panthère rose, Canteloup fend la foule venue le fêter. Souriant et affable. Mais un poil absent. De quelle planète vient-il ? Pour tâcher d’y voir plus clair, je prend rendez-vous avec lui chez son manager, Jean-Marc Dumontet.
Au jour dit, c’est ce dernier qui m’accueille. Il me sent intriguée, il prend les devants : « Le secret de Nicolas, c’est qu’il n’a toujours pas compris qu’il est une star. Du coup, il écoute toutes les critiques. Après chacune de ses émissions, avec ses auteurs et son metteur en scène, on débriefe. On n’a qu’une règle : ne rien laisser passer. Certains jours, on est assassins…»
Il n’a pas fini sa phrase que Canteloup débarque. Même sensation que l’autre jour : qu’il arrive d’une lointaine galaxie. L’effet de sa face longue, sans doute, de son crâne chauve, de ses oreilles légèrement décollées — on dirait des antennes. Idéal pour un homme de radio ! Enfin la façon dont il déplace son corps en forme d’épure. Féline, plastique. A croire qu’il va faire surgir dans ce salon, sous l’effet de je ne sais quelle télétransportation, les doubles hilarants de Ségo, Sarko, Carla, Bachelot …
Mais non, cet après-midi, ce sera lui, et rien que lui. Deux seuls points fixes dans ce corps constamment mobile et ductile: les yeux. Noirs, frontaux, minéraux. En dix secondes, me voici scannée. Je comprends maintenant pourquoi nombre de politiques, quand ils le croisent Canteloup dans les couloirs d’Europe 1, prennent si souvent le large! Il voit tout, très vite. Et va jusqu’à l’os. D’où ça lui vient, comment il fait ?
Réponse aussi directe que le regard. Avec sa vraie voix, celle où chante tout le soleil du Sud-Ouest — il est né et a grandi à Mérignac, près de Bordeaux. « J’ai toujours été très observateur. Et les enfants ont tous un talent d’imitateur. Moi, tout simplement, j’ai continué…» Ton égal, aussi sobre que sa mise, un tee-shirt basique passé sur un jean tout aussi standard. Quelque chose de l’ascète, décidément. Je le lui dis. En ajoutant que je m’interroge sur son extrême discrétion. Pourquoi sait-on si peu de choses sur sa vie privée, sa compagne, ses enfants ? Quelque chose à cacher ? Ou à force d’étriller les autres, craindrait-il qu’on lui rende la pareille ? Réplique de cavalier droit dans ses bottes : « Il y a quantité de gens qui traversent de grandes difficultés.Moi, en ce moment, ça va financièrement, affectivement, professionnellement. Je n’ai pas envie d’étaler. »
« En ce moment »… La voix a imperceptiblement frémi, les mains aussi. Et l’eau noire du regard s’est troublée. Faille. L’ombre de ce frère suicidé à dix-sept ans vient-elle de passer dans la pièce, avec la conscience de la fragilité du bonheur? Canteloup semble tellement à vif, d’un seul coup, que je me cantonne à lui demander s’il souscrit à l’idée que les mélancoliques font les meilleurs comiques.
Il redevient très lisse:« La tristesse, je ne suis pas programmé pour çà. Bine sûr, je connais le film de la vie. Les tenants et les aboutissants de la société, l’argent, la lutte pour le pouvoir, les rapports hommes-femmes. Mais mon véritable aliment, c’est le non-dit, la langue de bois. Je cherche à faire surgir les vérités cachées dans cet entre-deux. C’est de cette révélation que surgit le rire. Mais je ne me sens pas investi d’une mission. Je ne suis qu’un artisan. Une petite souris qui observe les grands spectacles qui se déroulent autour de moi… »
Une petite souris, tout de même, qui fait des tournées triomphales — il réunit chaque soir jusqu’à 2500 personnes ! Canteloup confirme mais minimise : « Pour moi, la scène a quelque chose d’impudique. Je pense souvent : « Quelle prétention de se montrer ! » Et c’est pire chez Drucker. La télé a un effet loupe qui me fait peur.» Peur, à ce point ? Il révise encore à la baisse : « Disons que je suis tendu. Mais Drucker, mon père médiatique, aime préparer, comme moi. Ca m’aide beaucoup. Fogiel, lui, se conduit en frère. Gros bosseur, très attentif aux autres, pas du tout conforme à son image de petit roquet. Et puis j’ai mes chevaux. Eux ne savent pas que je suis Nicolas Canteloup. S’ils ont envie de me valdinguer, ils le font. Avec eux, je passe dans un autre monde. Le seul point commun entre mon métier et eux, c’est la discipline. »
Pendant qu’il parlait, Nicolas Canteloup s’est levé plusieurs fois, a tourné dans le salon comme un pur-sang dans son manège. Il piaffe, j’en suis sûre, de rejoindre sa planète secrète. Des vacances en famille, finit-il par me glisser, dans le Sud-Ouest, en famille. Cheval, voile, pêche, ni télé, ni radio, ni journaux. Le silence intersidéral nécessaire à la maturation de son prochain spectacle — il débutera en octobre et tournera deux ans. Il ne sait pas encore de quoi il sera fait. Sauf qu’il va tout changer. Inquiet, Canteloup?
Il lâche un « oui » laconique. Il a déjà regagné son vaisseau spatial intérieur. Allez, revenez-nous vite, Nicolas, avec un cargaison de nouveaux personnages. Parce que, nous, ici, qu’est-ce qu’on va devenir, si on ne rit plus ?
Europe 1, 8 h 43, à sept minutes de l’émission de Nicolas Canteloup. La dernière de la saison. De Fogiel à Guy Carlier et à l’inusable Elkabbach, toutes les grosses pointures de la station sont présentes dans le studio. Et en régie, Alexandre Bompard, le patron de la station.
Avant de rejoindre ses complices de l’autre côté de la vitre, Canteloup s’est assis à la console des techniciens et rature son texte de ce geste appliqué qu’on ne voit qu’aux gauchers. Concentration maximale. Le silence de l’humoriste-radio avant la plage de 8h50. Puis il déplie en souplesse son interminable silhouette de funambule et, tel un chat qui ne fait que frôler choses et gens, file dans le studio. Mitraille des photographes. Il la subit avec une indifférence de moine zen. Pas un œil à l’horloge. Le chronomètre, il l’a dans le ventre. Et la rigueur, chevillée au corps. Tout le monde le sait : pour être en forme, en rire, en voix, Canteloup ne s’autorise aucun écart. Jamais d’alcool ni de boîte de nuit, régime alimentaire strict, une heure et demi de cheval par jour, où qu’il soit. Ce matin comme les autres, il sera impec. Sauf qu’évidemment, en bon perfectionniste, pour cette dernière, il veut se surpasser.
8h 49. Son casque d’animateur couronne son crâne lisse comme un œuf. Il y a cinq secondes, il avait l’air d’un bonze. Il ressemble maintenant à un extra-terrestre. Doté du super-pouvoir de se transformer en qui il veut. Elkabbach, pour commencer. Non seulement la voix y est, mais aussi le phrasé, les mimiques, le regard, les tics de langage, tout cet incontrôlable qui, aussi bien que l’ADN, signe la personnalité des anonymes et celle des célébrités dont Canteloup fait ses choux gras, Sarko, Domenech, Anelka — pardon, Anelkanelloni — Frédéric Mitterrand, Stéphane Bern, Laetitia Halliday. Autour de moi, dans la régie, ça se gondole tellement au-dessus des consoles que les techniciens s’emmêlent dans leur électronique. Mais le feu d’artifice est déjà fini et, du même pas élastique que la Panthère rose, Canteloup fend la foule venue le fêter. Souriant et affable. Mais un poil absent. De quelle planète vient-il ? Pour tâcher d’y voir plus clair, je prend rendez-vous avec lui chez son manager, Jean-Marc Dumontet.
Au jour dit, c’est ce dernier qui m’accueille. Il me sent intriguée, il prend les devants : « Le secret de Nicolas, c’est qu’il n’a toujours pas compris qu’il est une star. Du coup, il écoute toutes les critiques. Après chacune de ses émissions, avec ses auteurs et son metteur en scène, on débriefe. On n’a qu’une règle : ne rien laisser passer. Certains jours, on est assassins…»
Il n’a pas fini sa phrase que Canteloup débarque. Même sensation que l’autre jour : qu’il arrive d’une lointaine galaxie. L’effet de sa face longue, sans doute, de son crâne chauve, de ses oreilles légèrement décollées — on dirait des antennes. Idéal pour un homme de radio ! Enfin la façon dont il déplace son corps en forme d’épure. Féline, plastique. A croire qu’il va faire surgir dans ce salon, sous l’effet de je ne sais quelle télétransportation, les doubles hilarants de Ségo, Sarko, Carla, Bachelot …
Mais non, cet après-midi, ce sera lui, et rien que lui. Deux seuls points fixes dans ce corps constamment mobile et ductile: les yeux. Noirs, frontaux, minéraux. En dix secondes, me voici scannée. Je comprends maintenant pourquoi nombre de politiques, quand ils le croisent Canteloup dans les couloirs d’Europe 1, prennent si souvent le large! Il voit tout, très vite. Et va jusqu’à l’os. D’où ça lui vient, comment il fait ?
Réponse aussi directe que le regard. Avec sa vraie voix, celle où chante tout le soleil du Sud-Ouest — il est né et a grandi à Mérignac, près de Bordeaux. « J’ai toujours été très observateur. Et les enfants ont tous un talent d’imitateur. Moi, tout simplement, j’ai continué…» Ton égal, aussi sobre que sa mise, un tee-shirt basique passé sur un jean tout aussi standard. Quelque chose de l’ascète, décidément. Je le lui dis. En ajoutant que je m’interroge sur son extrême discrétion. Pourquoi sait-on si peu de choses sur sa vie privée, sa compagne, ses enfants ? Quelque chose à cacher ? Ou à force d’étriller les autres, craindrait-il qu’on lui rende la pareille ? Réplique de cavalier droit dans ses bottes : « Il y a quantité de gens qui traversent de grandes difficultés.Moi, en ce moment, ça va financièrement, affectivement, professionnellement. Je n’ai pas envie d’étaler. »
« En ce moment »… La voix a imperceptiblement frémi, les mains aussi. Et l’eau noire du regard s’est troublée. Faille. L’ombre de ce frère suicidé à dix-sept ans vient-elle de passer dans la pièce, avec la conscience de la fragilité du bonheur? Canteloup semble tellement à vif, d’un seul coup, que je me cantonne à lui demander s’il souscrit à l’idée que les mélancoliques font les meilleurs comiques.
Il redevient très lisse:« La tristesse, je ne suis pas programmé pour çà. Bine sûr, je connais le film de la vie. Les tenants et les aboutissants de la société, l’argent, la lutte pour le pouvoir, les rapports hommes-femmes. Mais mon véritable aliment, c’est le non-dit, la langue de bois. Je cherche à faire surgir les vérités cachées dans cet entre-deux. C’est de cette révélation que surgit le rire. Mais je ne me sens pas investi d’une mission. Je ne suis qu’un artisan. Une petite souris qui observe les grands spectacles qui se déroulent autour de moi… »
Une petite souris, tout de même, qui fait des tournées triomphales — il réunit chaque soir jusqu’à 2500 personnes ! Canteloup confirme mais minimise : « Pour moi, la scène a quelque chose d’impudique. Je pense souvent : « Quelle prétention de se montrer ! » Et c’est pire chez Drucker. La télé a un effet loupe qui me fait peur.» Peur, à ce point ? Il révise encore à la baisse : « Disons que je suis tendu. Mais Drucker, mon père médiatique, aime préparer, comme moi. Ca m’aide beaucoup. Fogiel, lui, se conduit en frère. Gros bosseur, très attentif aux autres, pas du tout conforme à son image de petit roquet. Et puis j’ai mes chevaux. Eux ne savent pas que je suis Nicolas Canteloup. S’ils ont envie de me valdinguer, ils le font. Avec eux, je passe dans un autre monde. Le seul point commun entre mon métier et eux, c’est la discipline. »
Pendant qu’il parlait, Nicolas Canteloup s’est levé plusieurs fois, a tourné dans le salon comme un pur-sang dans son manège. Il piaffe, j’en suis sûre, de rejoindre sa planète secrète. Des vacances en famille, finit-il par me glisser, dans le Sud-Ouest, en famille. Cheval, voile, pêche, ni télé, ni radio, ni journaux. Le silence intersidéral nécessaire à la maturation de son prochain spectacle — il débutera en octobre et tournera deux ans. Il ne sait pas encore de quoi il sera fait. Sauf qu’il va tout changer. Inquiet, Canteloup?
Il lâche un « oui » laconique. Il a déjà regagné son vaisseau spatial intérieur. Allez, revenez-nous vite, Nicolas, avec un cargaison de nouveaux personnages. Parce que, nous, ici, qu’est-ce qu’on va devenir, si on ne rit plus ?