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INTERVIEW DE PPDA
Le 03 juillet 2008
Paru dans Paris-Match: « Mes dernières semaines avec vous »
IF - Trois semaines plus tard, vous êtes toujours sous le choc de votre éviction du JT ?
PPDA - Mais il n’y a pas eu de choc ! A l’instant où on m’a annoncé qu’on souhaitait se passer de mes services, j’ai tourné la page. Pas un instant, je n’ai imaginé rester à TF1. En dépit des promesses mirifiques qu’on m’a faites et des égards dont on m’a entouré. Mais hélas, trop tard.
IF - Où avez-vous trouvé ce sang-froid ? L’annonce de votre départ a été si brutale…
PPDA - Dans la subite conscience qu’on m’avait trahi. A la seconde où je l’ai saisi, je suis mentalement parti de TF1.
IF - Sous l’effet de l’électrochoc ?
PPDA - Encore une fois, çà n’a pas été un choc. Mais une déception.
IF - Qui vous a déçu?
PPDA - Ceux qui ont ourdi ou décidé mon départ. Les quatre personnes dont je sais qu’elles ont trempé dans cette histoire.
IF - Vous voulez dire qu’il y a eu complot ?
PPDA - Tout ce qui est fait dans le dos de quelqu’un s’apparente à une trahison. Le procédé dont on a usé envers moi est totalement dénué d’élégance.
IF - L’élégance est pour vous une valeur première?
PPDA - Absolument. Tout peut être fait, ou décidé. Ce qui prime, c’est la manière dont on se conduit.
IF - Vous êtes blessé ?
PPDA - Non, je vous le répète, je suis simplement déçu. Je réserve les blessures aux choses essentielles de la vie.
IF - C’est-à-dire ?
PPDA - L’amour ou la vie de mes proches. J’ai perdu deux enfants, je sais de quoi je parle. Et j’ai vécu aussi la mort de l’amour.
IF - Ne me dites pas que vous avez facilement encaissé d’apprendre votre éviction en public, dans les tribunes de Roland Garros, au moment où vous avez reçu le fameux « coup de fil fatal »…
PPDA - Mais il n’y a pas eu de « coup de fil fatal » ! C’est une pure invention…Les choses se sont en fait passées beaucoup plus simplement. Ce matin-là, j’avais lu dans Le Parisien un écho selon lequel Laurence Ferrari allait prendre ma succession. Je ne l’ai pas pris au sérieux. J’ai pensé à une rumeur de plus. Je me suis donc contenté d’appeler Laurence en lui disant : « Petite cachottière, explique-moi de quoi il en retourne ! » Elle ne m’a pas rappelé. J’ai continué à faire tranquillement ce que j’avais prévu : jouer au tennis avec mon ami Arnaud Boetsch.
IF - Vous étiez très sûr de vous…Ou vous avez le cuir épais !
PPDA - J’en ai tant vu…Donc tout aussi sereinement, je suis allé déjeuner à Roland Garros avec ma loyale complice Anne-Sophie Lapix et le ministre Luc Chatel puis j’ai enchaîné sur cette finale barbante qui s’est conclue sur la victoire de Federer sur Nadal. Tout simplement, j’étais entièrement à ma passion : le tennis. Roland Garros est pour moi un lieu très important. Je n’y vais pas pour me faire voir. Depuis 68, date à laquelle j’en ai escaladé les grillages pour satisfaire ma passion, je n’ai jamais raté une finale…
IF - Et quatre décennies plus tard, c’est aussi là que vous avez vécu votre finale…
PPDA - Encore une fois, pas du tout, puisque c’est le soir, en écoutant la radio, que j’ai appris que j’étais viré !
IF - Qu’avez-vous fait, à ce moment-là ?
PPDA - J’ai aussitôt appelé Martin Bouygues. A ses réponses embarrassées, j’ai compris qu’il y avait vraiment anguille sous roche. Le lendemain matin, Nonce Paolini m’a confirmé la décision de la chaîne. Non sans une certaine gêne. Un embarras, là encore, que j’ai observé comme un entomologiste.
IF - Vraiment?
PPDA - Oui, car jamais les audiences de mon JT n’ont été aussi bonnes que cette année. La semaine dernière, par exemple, j’ai fait 38 à 39% de parts d’audience, alors que France 2 en était à 19 ou 20. Et un sondage qui vient de paraître me désigne aussi comme le numéro 1 de tous les animateurs télé. De l’avis de tous les observateurs ou statisticiens, je suis au sommet de ma popularité. J’estime donc que c’est sans raison sérieuse que j’ai été évincé.
IF - Vous voulez dire que vous êtes licencié pour une raison autre que professionnelle ? Politique, alors ?
PPDA - Je vous répète que j’ai déjà tourné la page.
IF - Pourquoi n’avoir pas devancé ce licenciement en partant de vous-même il y a six mois,quand la suprématie de TF1 a commencé à vaciller? Vous auriez ainsi pu décider de votre destin, au lieu de le subir…
PPDA - J’ai fait une erreur, en effet, mais pas celle-là. J’avais le projet de partir pendant l’été 2009 pour réaliser un film avec mon frère. Le producteur de ce film l’a fait savoir au Directeur général de TF1. Je ne me suis pas inquiété, j’ai fait confiance au fair-play de la chaîne. J’ai eu tort. La direction de TF1, je suppose, a voulu rester maîtresse du calendrier. J’ai dû agacer avec ma volonté de vouloir décider de mon sort. Cela dit, simple hypothèse. Mais déjà, au lycée, ma manière d’être m’a joué des tours.
IF - Quelle manière d’être ?
PPDA - Les profs se disaient dérangés par une certaine lueur au fond de mon regard qui les dérangeait. Ils me reprochaient mon insolence. Et pourtant, il n’y a pas plus timide que moi. Mais l’extrême sauvagerie pousse parfois à des audaces insoupçonnées.
IF - Ils avaient raison?
PPDA - Je n’ai jamais eu l’échine souple. Ni avec les profs,ni avec mes hiérarchies successives, ni avec les présidents de la République, ni avec les hommes politiques.
IF - Depuis le temps, vous auriez pu apprendre à museler cette insolence…
PPDA - Elle m’échappe complètement. C’est sans doute une façon inconsciente de signifier aux autres que je suis différent. Je n’apprécie que les très petites compagnies. Comme les animaux que j’aime : les jaguars, les léopards, les albatros. Je n’aime pas être rattrapé par les lassos de toute sorte, les conventions, les obligations…
IF - …Les femmes …
PPDA - Autre sujet, que je n’évoquerai pas ! Je ne l’ai jamais fait. Je ne commencerai pas aujourd’hui, chère Irène ;
IF - Pour revenir à la télé, n’avez-vous pas sous-estimé l’essor de la TNT et les nouvelles façons de consommer de l’image, sur Internet par exemple ? Ne seriez-vous pas resté bloqué sur une conception du JT un peu surannée, la grand-messe du 20 heures, comme vous le reprochent certains?
PPDA - Justement non ! Certes, depuis un an, l’audience des grandes chaînes classiques, et notamment de TF1, baisse de façon impressionnante. Mais précisément, les seuls moments qui ont résisté sont les JT de 13 heures et de 20 heures ! Donc comment voulez-vous que j’imagine qu’on puisse toucher à l’information, le seul pilier solide de la chaîne ?
IF - Quelles que soient les raisons de votre éviction, elle doit vous faire souffrir. Qu’est-ce qui l’emporte ? La colère, la tristesse, le dépit, la nostalgie ?
PPDA - Rien que la nostalgie.Puissante, intense, violente. Il y a quelques jours, tenez, il y a eu un dîner pour saluer le départ de Robert Namias. Lui et moi étions entourés de 150 journalistes de la chaîne. Des êtres avec qui, comme Robert, j’avais eu l’impression d’avoir fondé une famille.J’ai été étreint par la sensation que nous étions un père et une mère qui, d’un seul coup, laissions tomber nos enfants. Car voilà 21 ans que, tous les jours, je passais dix à douze heures en leur compagnie…Je quittais rarement le bureau avant 21 heures 30 ou 22 heures. Et nous avons partagé tant de moments intimes…Beaucoup de journalistes se confiaient à moi et je crois avoir aidé nombre d’entre eux dans des situations humaines et financières délicates. Le soir de ce fameux dîner,tous avaient les larmes aux yeux. Il est alors très difficile de ne pas être gagné par la contagion de l’émotion.
IF - Quels sont vos souvenirs les plus marquants ?
PPDA - Les JT que j’ai présenté depuis l’étranger. D’abord parce que c’est dix fois plus compliqué que depuis Paris, quand on est bien installé dans un fauteuil face à une caméra. Des opérations pareilles ont un côté commando.C’est d’ailleurs ce que je préfère dans le journalisme car j’ai débuté de cette façon-là, sur le terrain, lors de ce fameux concours de France-Inter qui m’avait lancé et que j’avais remporté sur 3000 candidats…
IF - Votre émotion la plus forte, lors de ces JT à l’étranger ?
PPDA - Incontestablement le Rwanda en 1994. Quelques heures avant le journal, près d’une église, j’avais assisté à la découverte d’un charnier de 5000 personnes…J’ai aussi été très marqué par les deux interviews de Saddam Hussein que j’ai réalisées pendant la guerre du Golfe. Enfin plusieurs moments terribles : la mort par balles de notre preneur de son Jean-Claude Jumel lors d’un de nos voyages à Mogadiscio. Puis, juste après que j’aie présenté le JT à Moscou pendant le putsch d’Elstine, le caméraman Ivan Skopan a été abattu. Enfin mon ami Patrick Bourra, écrasé par un char au Koweit. On était nés le même jour, le 20 septembre. Je l’aimais comme si c’était mon jumeau. On avait les mêmes passions, comme le goût des raids d’aventures, on avait partagé quantité de moments forts un peu partout dans le monde, en Afrique du Sud, au Lesotho, à Madagascar…Sa mort m’a marqué à jamais.
IF - En fait, ce que vous regrettez le plus, c’est le baroud. Pas du tout la vie à l’intérieur de l’entreprise TF1…
PPDA - Le grand reportage, oui, mais avec mes amis de la rédaction. Et ce monde-là, j’entends bien le retrouver au plus vite. J’aime foncièrement aller à la rencontre des êtres.
IF - Mais comment allez-vous pouvoir vous passer de la décharge quotidienne d’adrénaline que générait le JT ? Tout le monde le sait, ce stress quotidien crée une dépendance quasiment physique. Donc au bout de 21 ans…
PPDA - Et si vous rajoutez mes sept années de JT sur la 2…Ca me fait 28 ans de JT. Un record mondial, me dit le Guiness Book !
IF - Raison de plus: comment allez-vous vous désintoxiquer ? Et est-ce seulement possible ?
PPDA - Je n’en sais rien. Je verrai bien. C’est de toute façon trop tôt pour le dire. Avant mon départ, le 10 juillet, j’ai encore deux semaines à assurer. Mais au soir du 10 juillet, je ne vais pas me retrouver face au vide. Les propositions ne manquent pas. Ma seule incertitude, à l’heure qu’il est, c’est de ne pas avoir encore arrêté l’endroit où je me retrouverai en septembre…
IF - Etre viré à 60 ans pose nécessairement la question de l’âge. Vous ne vous dites pas : « Cà y est, j’ai atteint la date de péremption ? «
PPDA - Non, puisque je suis assailli de propositions ! L’âge n’est absolument pas la raison de mon éviction : pour le public, le présentateur télé doit avoir un vécu, de l’expérience, des épaules. Et le public a raison : cela seul permet de tenir à distance l’émotion aussi bien que les politiques. Le présentateur télé n’est absolument pas dans le cas de l’animateur de variétés, facilement considéré comme démodé à partir d’un certain âge. La preuve : tous mes grands collègues américains et européens sont plus vieux que moi. Le roi des JT américains, Gibson, a 65 ans… Et les deux derniers présentateurs de CBS, Walter Cronkite et mon ami Dan Rather avaient plus de 70 ans quand ils sont partis. Depuis, leur journal n’a cessé de décliner. Enfin le nouveau directeur de l’information de TF 1 a 67 ans ! Qui a parlé de l’emploi des seniors… ?
IF - Vous ne pensez jamais: « A l’écran, je séduis moins? »
PPDA - Non, puisque mon travail n’a jamais reposé sur la séduction ! A TF1, jusqu’à maintenant, le présentateur était responsable de son journal. Le JT est donc un véritable engagement. Ma philosophie, c’est de parler au plus grand nombre. Je veux qu’on me regarde en confiance, qu’on soit de droite ou de gauche. Le public l’a compris. Il sait que je suis capable de parler de ce qui me plaît, en faisant fi de la ligne politique au pouvoir. Comme lorsque j’ai parlé du Tibet, en dépit de tous les contrats que la France signe avec la Chine. Souvenez-vous : il y a deux ans, j’étais déjà à Lhassa en compagnie de Robert Ménard et je filmais des opposants au régime chinois…
IF - Comment allez-vous mettre l’été à profit ?
PPDA - Pour commencer, je vais parachever mon projet « Chemin de Compostelle ».1600 kms à pied, 800 en France, 800 en Espagne. Tous les ans, pendant une semaine depuis 5 ans, je parcours souvent avec mon fils ou avec des amis un tronçon de ce pèlerinage. Je voudrais le terminer cet été.
IF - PPDA mystique ?
PPDA - Non, ça n’a rien à voir avec la religion. C’est une façon de me replier sur moi-même pour fuir les pollutions extérieures.
IF - Mais pourquoi Compostelle ?
PPDA - Je ne sais pas au juste. Sans doute l’idée de chemin. Faire son chemin, trouver son chemin, j’aime ces mots et ces démarches. La quête du Graal !
IF - Qu’est-ce que vous en attendez ?
PPDA - Quand on s’en va ainsi, on n’a pas besoin de savoir pourquoi on part. On l’apprendra en route, sous la forme d’une évidence subite. Et de toute façon, cette quête spirituelle, religieuse ou sportive m’est indispensable.
IF - S’il y a une vie après le JT, ce serait donc grâce à la foi?
PPDA - C’est plus compliqué … Disons que j’aimerais croire. Mon rapport à la foi est très conflictuel.J’ai perdu deux enfants, j’ai hurlé ma colère aux oreilles de Celui qui en était à mes yeux responsable. Je ne suis pas athée, mais en rébellion et en interrogation forte.
IF - Et pour le reste ?
PPDA - Je vais être très occupé. Comme je suis dégagé d’un étau qui m’emprisonnait parfois, même si j’étais resté libre dans ma tête, je vais consacrer plus de temps à mes engagements pour l’Unicef, à Reporters sans frontières, enfin à la Maison de Solenn, créée grâce aux opérations Pièces jaunes de Mme Chirac et aux fonds personnels que j’y ai engagés lors de sa fondation — toutes mes économies.
IF - Et votre passion pour les livres ?
PPDA - Créer une nouvelle émission culturelle fait partie de mes projets. Et écrire, bien sûr. Vous parliez tout-à-l’heure de l’adrénaline du JT. C’est sûr, cette seringue, je l’ai dans le bras. Mais dans l’autre bras, j’ai une seconde seringue : je suis accro à la littérature.
IF - Vous pensez vivre davantage aux côtés de votre jeune fils?
PPDA - Je vais me consacrer à François comme aux autres de mes enfants. Mais les aînés vivent déjà leur vie. Tandis que lui m’accompagne partout, les week-ends, quand je l’ai en garde. Du coup, il a déjà fait plusieurs fois le tour du monde. François est un élément permanent de ma stabilité et je suis très attaché aux valeurs de transmission.
IF - Des rumeurs d’éviction de Claire Chazal courent aussi. Si, après son père, sa mère était virée, ça pourrait fortement le traumatiser.
PPDA - Je ne souhaite pas à Claire d’être écartée comme je l’ai été. Mais quoi qu’il arrive, François est assez équilibré pour ne pas en être atteint. Il passe en 4ème avec un bulletin exceptionnel et il sait la vanité d’un certain nombre de choses. Tout comme moi, qui ai connu la notoriété très tôt, et qui ai été très vite vacciné contre ses méfaits. Je ne suis pas de ceux qui sont malheureux parce que la lumière n’est pas sur eux.
IF - Donc vous vous sentez absolument prêt à la traversée du désert ?
PPDA - Traversée du désert, c’est une simple image que j’ai employée en référence à mon dernier livre « Le Petit Prince du désert ». J’ai déjà abandonné le JT en 1983, quand j’ai quitté Antenne 2, de moi-même et sans indemnités…J’en ai profité pour refaire de la presse écrite, notamment chez vous. Du coup, quand j’ai repris le JT de TF1, j’étais fort d’une nouvelle expérience.
IF - Comment va se passer le dernier JT ?
PPDA - Je n’en ai aucune idée. J’avance au jour le jour. Je pense surtout à régler le sort de mes collaborateurs. Tout ce que je sais, c’est qu’après le dernier JT, je réunirai tous mes amis de TF1 et d’ailleurs.
IF - Depuis que votre départ a été annoncé, vous présentez le JT de la même façon et vous parlez sans la moindre émotion apparente.Quel est votre secret?
PPDA - Quand il m’arrive un sale coup — et j’en ai eus, à commencer par la mort de ma fille Solenn — il me paraît essentiel de garder, non du détachement, mais de la distance. Les gens n’ont pas à savoir si je me sens bien ou mal. Le présentateur n’est en aucun cas l’information. Il est simplement là pour raconter les nouvelles de la France et du monde, en s’effaçant devant l’information . En statistique, je suis d’ailleurs le présentateur qui apparaît le moins à l’antenne…Ou alors mon rôle est pédagogique, quand par exemple je cherche à familiariser le téléspectateur avec les enjeux du monde contemporain, comme je l’ai fait récemment avec des journaux entiers sur la crise alimentaire ou la crise de l’énergie – une piste de renouvellement qu’hélas ! on ne m’a pas laissé le temps d’approfondir. Mais pour le reste, le présentateur n’a pas à aller plus loin. Ca ne m’est pas difficile : je suis naturellement pudique. Et je m’intéresse profondément aux gens. Par exemple ce week-end, j’ai fait une rencontre très importante. C’était sur la dune du Pyla, une non-voyante. Elle m’a beaucoup infiniment plus passionné que bien de mes contacts à Paris…
Paris-Match
IF - Trois semaines plus tard, vous êtes toujours sous le choc de votre éviction du JT ?
PPDA - Mais il n’y a pas eu de choc ! A l’instant où on m’a annoncé qu’on souhaitait se passer de mes services, j’ai tourné la page. Pas un instant, je n’ai imaginé rester à TF1. En dépit des promesses mirifiques qu’on m’a faites et des égards dont on m’a entouré. Mais hélas, trop tard.
IF - Où avez-vous trouvé ce sang-froid ? L’annonce de votre départ a été si brutale…
PPDA - Dans la subite conscience qu’on m’avait trahi. A la seconde où je l’ai saisi, je suis mentalement parti de TF1.
IF - Sous l’effet de l’électrochoc ?
PPDA - Encore une fois, çà n’a pas été un choc. Mais une déception.
IF - Qui vous a déçu?
PPDA - Ceux qui ont ourdi ou décidé mon départ. Les quatre personnes dont je sais qu’elles ont trempé dans cette histoire.
IF - Vous voulez dire qu’il y a eu complot ?
PPDA - Tout ce qui est fait dans le dos de quelqu’un s’apparente à une trahison. Le procédé dont on a usé envers moi est totalement dénué d’élégance.
IF - L’élégance est pour vous une valeur première?
PPDA - Absolument. Tout peut être fait, ou décidé. Ce qui prime, c’est la manière dont on se conduit.
IF - Vous êtes blessé ?
PPDA - Non, je vous le répète, je suis simplement déçu. Je réserve les blessures aux choses essentielles de la vie.
IF - C’est-à-dire ?
PPDA - L’amour ou la vie de mes proches. J’ai perdu deux enfants, je sais de quoi je parle. Et j’ai vécu aussi la mort de l’amour.
IF - Ne me dites pas que vous avez facilement encaissé d’apprendre votre éviction en public, dans les tribunes de Roland Garros, au moment où vous avez reçu le fameux « coup de fil fatal »…
PPDA - Mais il n’y a pas eu de « coup de fil fatal » ! C’est une pure invention…Les choses se sont en fait passées beaucoup plus simplement. Ce matin-là, j’avais lu dans Le Parisien un écho selon lequel Laurence Ferrari allait prendre ma succession. Je ne l’ai pas pris au sérieux. J’ai pensé à une rumeur de plus. Je me suis donc contenté d’appeler Laurence en lui disant : « Petite cachottière, explique-moi de quoi il en retourne ! » Elle ne m’a pas rappelé. J’ai continué à faire tranquillement ce que j’avais prévu : jouer au tennis avec mon ami Arnaud Boetsch.
IF - Vous étiez très sûr de vous…Ou vous avez le cuir épais !
PPDA - J’en ai tant vu…Donc tout aussi sereinement, je suis allé déjeuner à Roland Garros avec ma loyale complice Anne-Sophie Lapix et le ministre Luc Chatel puis j’ai enchaîné sur cette finale barbante qui s’est conclue sur la victoire de Federer sur Nadal. Tout simplement, j’étais entièrement à ma passion : le tennis. Roland Garros est pour moi un lieu très important. Je n’y vais pas pour me faire voir. Depuis 68, date à laquelle j’en ai escaladé les grillages pour satisfaire ma passion, je n’ai jamais raté une finale…
IF - Et quatre décennies plus tard, c’est aussi là que vous avez vécu votre finale…
PPDA - Encore une fois, pas du tout, puisque c’est le soir, en écoutant la radio, que j’ai appris que j’étais viré !
IF - Qu’avez-vous fait, à ce moment-là ?
PPDA - J’ai aussitôt appelé Martin Bouygues. A ses réponses embarrassées, j’ai compris qu’il y avait vraiment anguille sous roche. Le lendemain matin, Nonce Paolini m’a confirmé la décision de la chaîne. Non sans une certaine gêne. Un embarras, là encore, que j’ai observé comme un entomologiste.
IF - Vraiment?
PPDA - Oui, car jamais les audiences de mon JT n’ont été aussi bonnes que cette année. La semaine dernière, par exemple, j’ai fait 38 à 39% de parts d’audience, alors que France 2 en était à 19 ou 20. Et un sondage qui vient de paraître me désigne aussi comme le numéro 1 de tous les animateurs télé. De l’avis de tous les observateurs ou statisticiens, je suis au sommet de ma popularité. J’estime donc que c’est sans raison sérieuse que j’ai été évincé.
IF - Vous voulez dire que vous êtes licencié pour une raison autre que professionnelle ? Politique, alors ?
PPDA - Je vous répète que j’ai déjà tourné la page.
IF - Pourquoi n’avoir pas devancé ce licenciement en partant de vous-même il y a six mois,quand la suprématie de TF1 a commencé à vaciller? Vous auriez ainsi pu décider de votre destin, au lieu de le subir…
PPDA - J’ai fait une erreur, en effet, mais pas celle-là. J’avais le projet de partir pendant l’été 2009 pour réaliser un film avec mon frère. Le producteur de ce film l’a fait savoir au Directeur général de TF1. Je ne me suis pas inquiété, j’ai fait confiance au fair-play de la chaîne. J’ai eu tort. La direction de TF1, je suppose, a voulu rester maîtresse du calendrier. J’ai dû agacer avec ma volonté de vouloir décider de mon sort. Cela dit, simple hypothèse. Mais déjà, au lycée, ma manière d’être m’a joué des tours.
IF - Quelle manière d’être ?
PPDA - Les profs se disaient dérangés par une certaine lueur au fond de mon regard qui les dérangeait. Ils me reprochaient mon insolence. Et pourtant, il n’y a pas plus timide que moi. Mais l’extrême sauvagerie pousse parfois à des audaces insoupçonnées.
IF - Ils avaient raison?
PPDA - Je n’ai jamais eu l’échine souple. Ni avec les profs,ni avec mes hiérarchies successives, ni avec les présidents de la République, ni avec les hommes politiques.
IF - Depuis le temps, vous auriez pu apprendre à museler cette insolence…
PPDA - Elle m’échappe complètement. C’est sans doute une façon inconsciente de signifier aux autres que je suis différent. Je n’apprécie que les très petites compagnies. Comme les animaux que j’aime : les jaguars, les léopards, les albatros. Je n’aime pas être rattrapé par les lassos de toute sorte, les conventions, les obligations…
IF - …Les femmes …
PPDA - Autre sujet, que je n’évoquerai pas ! Je ne l’ai jamais fait. Je ne commencerai pas aujourd’hui, chère Irène ;
IF - Pour revenir à la télé, n’avez-vous pas sous-estimé l’essor de la TNT et les nouvelles façons de consommer de l’image, sur Internet par exemple ? Ne seriez-vous pas resté bloqué sur une conception du JT un peu surannée, la grand-messe du 20 heures, comme vous le reprochent certains?
PPDA - Justement non ! Certes, depuis un an, l’audience des grandes chaînes classiques, et notamment de TF1, baisse de façon impressionnante. Mais précisément, les seuls moments qui ont résisté sont les JT de 13 heures et de 20 heures ! Donc comment voulez-vous que j’imagine qu’on puisse toucher à l’information, le seul pilier solide de la chaîne ?
IF - Quelles que soient les raisons de votre éviction, elle doit vous faire souffrir. Qu’est-ce qui l’emporte ? La colère, la tristesse, le dépit, la nostalgie ?
PPDA - Rien que la nostalgie.Puissante, intense, violente. Il y a quelques jours, tenez, il y a eu un dîner pour saluer le départ de Robert Namias. Lui et moi étions entourés de 150 journalistes de la chaîne. Des êtres avec qui, comme Robert, j’avais eu l’impression d’avoir fondé une famille.J’ai été étreint par la sensation que nous étions un père et une mère qui, d’un seul coup, laissions tomber nos enfants. Car voilà 21 ans que, tous les jours, je passais dix à douze heures en leur compagnie…Je quittais rarement le bureau avant 21 heures 30 ou 22 heures. Et nous avons partagé tant de moments intimes…Beaucoup de journalistes se confiaient à moi et je crois avoir aidé nombre d’entre eux dans des situations humaines et financières délicates. Le soir de ce fameux dîner,tous avaient les larmes aux yeux. Il est alors très difficile de ne pas être gagné par la contagion de l’émotion.
IF - Quels sont vos souvenirs les plus marquants ?
PPDA - Les JT que j’ai présenté depuis l’étranger. D’abord parce que c’est dix fois plus compliqué que depuis Paris, quand on est bien installé dans un fauteuil face à une caméra. Des opérations pareilles ont un côté commando.C’est d’ailleurs ce que je préfère dans le journalisme car j’ai débuté de cette façon-là, sur le terrain, lors de ce fameux concours de France-Inter qui m’avait lancé et que j’avais remporté sur 3000 candidats…
IF - Votre émotion la plus forte, lors de ces JT à l’étranger ?
PPDA - Incontestablement le Rwanda en 1994. Quelques heures avant le journal, près d’une église, j’avais assisté à la découverte d’un charnier de 5000 personnes…J’ai aussi été très marqué par les deux interviews de Saddam Hussein que j’ai réalisées pendant la guerre du Golfe. Enfin plusieurs moments terribles : la mort par balles de notre preneur de son Jean-Claude Jumel lors d’un de nos voyages à Mogadiscio. Puis, juste après que j’aie présenté le JT à Moscou pendant le putsch d’Elstine, le caméraman Ivan Skopan a été abattu. Enfin mon ami Patrick Bourra, écrasé par un char au Koweit. On était nés le même jour, le 20 septembre. Je l’aimais comme si c’était mon jumeau. On avait les mêmes passions, comme le goût des raids d’aventures, on avait partagé quantité de moments forts un peu partout dans le monde, en Afrique du Sud, au Lesotho, à Madagascar…Sa mort m’a marqué à jamais.
IF - En fait, ce que vous regrettez le plus, c’est le baroud. Pas du tout la vie à l’intérieur de l’entreprise TF1…
PPDA - Le grand reportage, oui, mais avec mes amis de la rédaction. Et ce monde-là, j’entends bien le retrouver au plus vite. J’aime foncièrement aller à la rencontre des êtres.
IF - Mais comment allez-vous pouvoir vous passer de la décharge quotidienne d’adrénaline que générait le JT ? Tout le monde le sait, ce stress quotidien crée une dépendance quasiment physique. Donc au bout de 21 ans…
PPDA - Et si vous rajoutez mes sept années de JT sur la 2…Ca me fait 28 ans de JT. Un record mondial, me dit le Guiness Book !
IF - Raison de plus: comment allez-vous vous désintoxiquer ? Et est-ce seulement possible ?
PPDA - Je n’en sais rien. Je verrai bien. C’est de toute façon trop tôt pour le dire. Avant mon départ, le 10 juillet, j’ai encore deux semaines à assurer. Mais au soir du 10 juillet, je ne vais pas me retrouver face au vide. Les propositions ne manquent pas. Ma seule incertitude, à l’heure qu’il est, c’est de ne pas avoir encore arrêté l’endroit où je me retrouverai en septembre…
IF - Etre viré à 60 ans pose nécessairement la question de l’âge. Vous ne vous dites pas : « Cà y est, j’ai atteint la date de péremption ? «
PPDA - Non, puisque je suis assailli de propositions ! L’âge n’est absolument pas la raison de mon éviction : pour le public, le présentateur télé doit avoir un vécu, de l’expérience, des épaules. Et le public a raison : cela seul permet de tenir à distance l’émotion aussi bien que les politiques. Le présentateur télé n’est absolument pas dans le cas de l’animateur de variétés, facilement considéré comme démodé à partir d’un certain âge. La preuve : tous mes grands collègues américains et européens sont plus vieux que moi. Le roi des JT américains, Gibson, a 65 ans… Et les deux derniers présentateurs de CBS, Walter Cronkite et mon ami Dan Rather avaient plus de 70 ans quand ils sont partis. Depuis, leur journal n’a cessé de décliner. Enfin le nouveau directeur de l’information de TF 1 a 67 ans ! Qui a parlé de l’emploi des seniors… ?
IF - Vous ne pensez jamais: « A l’écran, je séduis moins? »
PPDA - Non, puisque mon travail n’a jamais reposé sur la séduction ! A TF1, jusqu’à maintenant, le présentateur était responsable de son journal. Le JT est donc un véritable engagement. Ma philosophie, c’est de parler au plus grand nombre. Je veux qu’on me regarde en confiance, qu’on soit de droite ou de gauche. Le public l’a compris. Il sait que je suis capable de parler de ce qui me plaît, en faisant fi de la ligne politique au pouvoir. Comme lorsque j’ai parlé du Tibet, en dépit de tous les contrats que la France signe avec la Chine. Souvenez-vous : il y a deux ans, j’étais déjà à Lhassa en compagnie de Robert Ménard et je filmais des opposants au régime chinois…
IF - Comment allez-vous mettre l’été à profit ?
PPDA - Pour commencer, je vais parachever mon projet « Chemin de Compostelle ».1600 kms à pied, 800 en France, 800 en Espagne. Tous les ans, pendant une semaine depuis 5 ans, je parcours souvent avec mon fils ou avec des amis un tronçon de ce pèlerinage. Je voudrais le terminer cet été.
IF - PPDA mystique ?
PPDA - Non, ça n’a rien à voir avec la religion. C’est une façon de me replier sur moi-même pour fuir les pollutions extérieures.
IF - Mais pourquoi Compostelle ?
PPDA - Je ne sais pas au juste. Sans doute l’idée de chemin. Faire son chemin, trouver son chemin, j’aime ces mots et ces démarches. La quête du Graal !
IF - Qu’est-ce que vous en attendez ?
PPDA - Quand on s’en va ainsi, on n’a pas besoin de savoir pourquoi on part. On l’apprendra en route, sous la forme d’une évidence subite. Et de toute façon, cette quête spirituelle, religieuse ou sportive m’est indispensable.
IF - S’il y a une vie après le JT, ce serait donc grâce à la foi?
PPDA - C’est plus compliqué … Disons que j’aimerais croire. Mon rapport à la foi est très conflictuel.J’ai perdu deux enfants, j’ai hurlé ma colère aux oreilles de Celui qui en était à mes yeux responsable. Je ne suis pas athée, mais en rébellion et en interrogation forte.
IF - Et pour le reste ?
PPDA - Je vais être très occupé. Comme je suis dégagé d’un étau qui m’emprisonnait parfois, même si j’étais resté libre dans ma tête, je vais consacrer plus de temps à mes engagements pour l’Unicef, à Reporters sans frontières, enfin à la Maison de Solenn, créée grâce aux opérations Pièces jaunes de Mme Chirac et aux fonds personnels que j’y ai engagés lors de sa fondation — toutes mes économies.
IF - Et votre passion pour les livres ?
PPDA - Créer une nouvelle émission culturelle fait partie de mes projets. Et écrire, bien sûr. Vous parliez tout-à-l’heure de l’adrénaline du JT. C’est sûr, cette seringue, je l’ai dans le bras. Mais dans l’autre bras, j’ai une seconde seringue : je suis accro à la littérature.
IF - Vous pensez vivre davantage aux côtés de votre jeune fils?
PPDA - Je vais me consacrer à François comme aux autres de mes enfants. Mais les aînés vivent déjà leur vie. Tandis que lui m’accompagne partout, les week-ends, quand je l’ai en garde. Du coup, il a déjà fait plusieurs fois le tour du monde. François est un élément permanent de ma stabilité et je suis très attaché aux valeurs de transmission.
IF - Des rumeurs d’éviction de Claire Chazal courent aussi. Si, après son père, sa mère était virée, ça pourrait fortement le traumatiser.
PPDA - Je ne souhaite pas à Claire d’être écartée comme je l’ai été. Mais quoi qu’il arrive, François est assez équilibré pour ne pas en être atteint. Il passe en 4ème avec un bulletin exceptionnel et il sait la vanité d’un certain nombre de choses. Tout comme moi, qui ai connu la notoriété très tôt, et qui ai été très vite vacciné contre ses méfaits. Je ne suis pas de ceux qui sont malheureux parce que la lumière n’est pas sur eux.
IF - Donc vous vous sentez absolument prêt à la traversée du désert ?
PPDA - Traversée du désert, c’est une simple image que j’ai employée en référence à mon dernier livre « Le Petit Prince du désert ». J’ai déjà abandonné le JT en 1983, quand j’ai quitté Antenne 2, de moi-même et sans indemnités…J’en ai profité pour refaire de la presse écrite, notamment chez vous. Du coup, quand j’ai repris le JT de TF1, j’étais fort d’une nouvelle expérience.
IF - Comment va se passer le dernier JT ?
PPDA - Je n’en ai aucune idée. J’avance au jour le jour. Je pense surtout à régler le sort de mes collaborateurs. Tout ce que je sais, c’est qu’après le dernier JT, je réunirai tous mes amis de TF1 et d’ailleurs.
IF - Depuis que votre départ a été annoncé, vous présentez le JT de la même façon et vous parlez sans la moindre émotion apparente.Quel est votre secret?
PPDA - Quand il m’arrive un sale coup — et j’en ai eus, à commencer par la mort de ma fille Solenn — il me paraît essentiel de garder, non du détachement, mais de la distance. Les gens n’ont pas à savoir si je me sens bien ou mal. Le présentateur n’est en aucun cas l’information. Il est simplement là pour raconter les nouvelles de la France et du monde, en s’effaçant devant l’information . En statistique, je suis d’ailleurs le présentateur qui apparaît le moins à l’antenne…Ou alors mon rôle est pédagogique, quand par exemple je cherche à familiariser le téléspectateur avec les enjeux du monde contemporain, comme je l’ai fait récemment avec des journaux entiers sur la crise alimentaire ou la crise de l’énergie – une piste de renouvellement qu’hélas ! on ne m’a pas laissé le temps d’approfondir. Mais pour le reste, le présentateur n’a pas à aller plus loin. Ca ne m’est pas difficile : je suis naturellement pudique. Et je m’intéresse profondément aux gens. Par exemple ce week-end, j’ai fait une rencontre très importante. C’était sur la dune du Pyla, une non-voyante. Elle m’a beaucoup infiniment plus passionné que bien de mes contacts à Paris…
Paris-Match