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Portrait de Michel DRUCKER
Le 24 d�cembre 2008
Paru dans Paris-Match : « Les femmes de ma vie »
Smoking. Pas un poil de ventre. Face au miroir, Michel Drucker a la moue fiérote du sexagénaire ravi d’avoir gardé la ligne. Mais rien qu’un quart de seconde. Aussitôt, petit clin d’œil. Il me désigne, derrière le paravent, les six femmes qui enfilent leurs plus jolies robes pour fêter le cinq-cent-millième exemplaire de son best-seller « Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? »: « Vous savez qu’elles m’appellent Papy ? » Manifestement, çà l’enchante. Cà doit aussi l’attendrir, car il précise: « Dans leur bouche, çà veut aussi dire que je suis le chef du clan… »
Clan, vraiment ? Pourquoi ce mot archaïque et dur, qui sent tellement l’errance, la bagarre pour la survie ? La voix brève, à son habitude, Drucker se justifie:« Ma mère, juive d’Autriche. Mon père, juif roumain. Les années 30, leur combat pour s’intégrer, la guerre, les persécutions nazies. Nous, les Drucker, on arrive de loin…Ca laisse des traces. » Et toujours aussi laconique, il résume la façon dont il a hérité du mot et du titre. En 1996, sur son lit de mort, sa mère lui lâche : « Je compte sur toi pour maintenir le clan groupé. » Il ne mesure le poids de la tâche que sept ans plus tard, quand, à son tour, son aîné Jean décède. Rien qu’à y penser, un long soupir lui échappe. Mais à l’évidence, l’ardente obligation s’est vite transformée en grand bonheur. A la tête d’une tribu qui, en dehors de son neveu Vincent, ne compte que des filles, il a très vite trouvé son personnage : Papy, justement, à des années-lumière de la lourde et matoise solennité d’un parrain à la Brando. a l’écouter, la vie du clan n’a rien à voir avec de longs et tortueux conciliabules, c’est tout simplement un chapelet de bulles d’affection arrachées jour après jour à la vie trépidante des uns et des autres, à commencer par la sienne. Coups de fil quotidiens pour demander si tout va bien, petites réunions de famille dès qu’on peut. Ou ce moment, comme aujourd’hui, où les « femmes de sa vie », comme il les nomme, se mettent sur leur trente-et-un pour le fêter. Casting-tendresse dont il s’émerveille à la façon d’un gamin devant ses cadeaux de Noël. Il me le débobine avec le même enthousiasme que le générique de ses « Vivement Dimanche »:« Dany, mon roc, mon inépuisable capital-confiance, j’ai su du premier jour qu’on vieillirait ensemble. Stéphanie, sa fille, que j’ai d’emblée aimée comme la mienne, décoratrice de théâtre, déjà un Molière, elle imagine et bâtit mes décors depuis 15 ans. Sa fille Rebecca, dite Zouzou, 13 ans, voyez comme elle est jolie, avec elle, j’ai appris l’art d’être grand-père. Ensuite Léa, ma nièce, l’actrice de la famille, la plus rebelle,la plus piquante, la plus indépendante, tête d’affiche au théâtre et au cinéma où elle vient d’incarner la femme de Coluche dans le film qu’Antoine de Caunes lui a consacré. Et maintenant la plus brune, Marie, la plus polyvalente aussi, la plus secrète, la reine de l’info des dix années à venir. Enfin Yleng, ma fille de cœur, première d’atelier chez Cardin, entrée chez nous à l’âge de seize ans après avoir réchappé des Khmers rouges »
A nouveau, long soupir. A l’évidence, il lui manque un nom. Il n’attend pas ma question :« Ma mère. Si longtemps ma tête de liste. J’étais très dépendant d’elle. Dans les années 60, quand je suis venu à Paris, elle m’a suivi. Marié, je l’appelais tous les jours. Une femme timide, écrasée par un mari-cyclone. Et constamment décalée. Hervé Vilard, pour elle, ne pouvait qu’être le fils de Jean Vilar, le fondateur du festival d’Avignon, et le chanteur François Valéry descendait nécessairement de l’écrivain Paul Valéry. Ca ne l’empêchait pas de regarder passionnément mes émissions…Pour me critiquer sur ma cravate et ma coiffure ! Une vraie mère juive, qui n’a jamais vécu que pour ses fils… »
Et sans doute dans le deuil inavoué de sa première-née, la petite Monique, morte à l’âge de huit mois — Michel Drucker l’évoque pour la première fois dans le film que France 3 lui consacrera le 2 janvier prochain. Rien qu’à prononcer son nom, il se fait songeur. « Ca nous a peut-être plus marqués qu’on ne croyait». Puis, redevenu malicieux, il modère: « Ca aurait aussi le mérite d’expliquer pourquoi, à deux-trois ans, ma mère nous habillait comme des filles, mes frères et moi! » Puis il pondère encore : « Monique n’a jamais été un secret de famille. On allait régulièrement sur sa tombe. Elle aurait 70 ans et elle m’aurait sans doute beaucoup appris de la vie. »Et, dans la foulée, soulevé par sa certitude que le monde ne peut s’apprendre que par les femmes, il me dévide les souvenirs de ses initiatrices de jeunesse, inaccessibles égéries ou amantes anonymes, toutes systématiquement attendries par ses airs à la fois si convenables et tellement perdus…A commencer, côté professionnel, par une des femmes les plus puissantes des années 60, la productrice Michèle Arnaud, qui lui enseigna l’art et la manière de faire son chemin dans les chausse-trappes de la télé. Drucker n’a rien oublié des humiliations dont elle l’a abreuvé. Avec le recul, il préfère en rire: « C’était sa façon de m’apprendre le métier ! De toute façon, j’étais demandeur. Depuis le début, j’ai eu besoin de femmes plus âgées. » « Depuis le début… »… Il parle bien d’amour , cette fois ? Sans faire de chichis, il confirme. Manifestement ravi du privilège des sexagénaires : au bénéfice de l’âge, pouvoir parler en toute liberté des sujets les plus intimes : « Adolescent, les femmes furent mes maîtresses dans tous les sens du terme. Amoureuses et éducatrices. Et les stars que j’admirais étaient au plus beau de leur maturité: Danielle Darrieux, Micheline Presle, Françoise Fabian, Audrey Hepburn, Jeanne Moreau, Shirley Mac Laine, Jane Fonda… » Grâce à la télé, ensuite, il les a toutes rencontrées. Pour autant, il en parle toujours avec la ferveur de ses quinze ans: « Des femmes fortes, libres, chic, glamour, intelligentes, passionnées… Et leur charme, leur voix… Ah ! leur voix ! Les jeunes filles ne savent plus çà. Elles veulent toutes ressembler à des mannequins. C’est-à-dire à de la pâtisserie industrielle ! » Et dans le même élan de franchise, il lâche que — oui, bon, et alors ? — ces mauvais gâteaux-là, il lui est arrivé d’y goûter. Puis il me pointe la longue silhouette qui, derrière le paravent, vient d’enfiler une robe des années 30: « Dany… Celles qui ont pu croire que j’allais la quitter pour elles se sont sacrément mis le doigt dans l’œil… Oui, on a traversé des crises, des périodes où je n’étais jamais là. Mais on est restés d’accord sur l’essentiel. Je ne peux pas vivre sans elle. Ensemble, on ne s’est jamais ennuyés. Dès notre rencontre, il y a 37 ans, j’ai su où on allait. Vous vous souvenez de la Parisienne de Kiraz ? Dany était son clone parfait ! Notre secret, c’est que je la fais rire et qu’elle ne prend pas au sérieux. La seule femme qui pourrait me donner un coup de blues, c’est Jane Fonda. Mais pas la bimbo des années 60 ! Celle de maintenant. 71 ans ! »
L’œil s’étoile une dernière fois. Tendresse, auto-ironie ? Indémêlable. Puis à nouveau, un cri retentit : « Papy ! T’es prêt ? » Drucker feint de se prendre la tête entre les mains : « J’ai dit chef de clan, tout à l’heure ? Mais vous avez vu ? C’est pire que la télé !
Smoking. Pas un poil de ventre. Face au miroir, Michel Drucker a la moue fiérote du sexagénaire ravi d’avoir gardé la ligne. Mais rien qu’un quart de seconde. Aussitôt, petit clin d’œil. Il me désigne, derrière le paravent, les six femmes qui enfilent leurs plus jolies robes pour fêter le cinq-cent-millième exemplaire de son best-seller « Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? »: « Vous savez qu’elles m’appellent Papy ? » Manifestement, çà l’enchante. Cà doit aussi l’attendrir, car il précise: « Dans leur bouche, çà veut aussi dire que je suis le chef du clan… »
Clan, vraiment ? Pourquoi ce mot archaïque et dur, qui sent tellement l’errance, la bagarre pour la survie ? La voix brève, à son habitude, Drucker se justifie:« Ma mère, juive d’Autriche. Mon père, juif roumain. Les années 30, leur combat pour s’intégrer, la guerre, les persécutions nazies. Nous, les Drucker, on arrive de loin…Ca laisse des traces. » Et toujours aussi laconique, il résume la façon dont il a hérité du mot et du titre. En 1996, sur son lit de mort, sa mère lui lâche : « Je compte sur toi pour maintenir le clan groupé. » Il ne mesure le poids de la tâche que sept ans plus tard, quand, à son tour, son aîné Jean décède. Rien qu’à y penser, un long soupir lui échappe. Mais à l’évidence, l’ardente obligation s’est vite transformée en grand bonheur. A la tête d’une tribu qui, en dehors de son neveu Vincent, ne compte que des filles, il a très vite trouvé son personnage : Papy, justement, à des années-lumière de la lourde et matoise solennité d’un parrain à la Brando. a l’écouter, la vie du clan n’a rien à voir avec de longs et tortueux conciliabules, c’est tout simplement un chapelet de bulles d’affection arrachées jour après jour à la vie trépidante des uns et des autres, à commencer par la sienne. Coups de fil quotidiens pour demander si tout va bien, petites réunions de famille dès qu’on peut. Ou ce moment, comme aujourd’hui, où les « femmes de sa vie », comme il les nomme, se mettent sur leur trente-et-un pour le fêter. Casting-tendresse dont il s’émerveille à la façon d’un gamin devant ses cadeaux de Noël. Il me le débobine avec le même enthousiasme que le générique de ses « Vivement Dimanche »:« Dany, mon roc, mon inépuisable capital-confiance, j’ai su du premier jour qu’on vieillirait ensemble. Stéphanie, sa fille, que j’ai d’emblée aimée comme la mienne, décoratrice de théâtre, déjà un Molière, elle imagine et bâtit mes décors depuis 15 ans. Sa fille Rebecca, dite Zouzou, 13 ans, voyez comme elle est jolie, avec elle, j’ai appris l’art d’être grand-père. Ensuite Léa, ma nièce, l’actrice de la famille, la plus rebelle,la plus piquante, la plus indépendante, tête d’affiche au théâtre et au cinéma où elle vient d’incarner la femme de Coluche dans le film qu’Antoine de Caunes lui a consacré. Et maintenant la plus brune, Marie, la plus polyvalente aussi, la plus secrète, la reine de l’info des dix années à venir. Enfin Yleng, ma fille de cœur, première d’atelier chez Cardin, entrée chez nous à l’âge de seize ans après avoir réchappé des Khmers rouges »
A nouveau, long soupir. A l’évidence, il lui manque un nom. Il n’attend pas ma question :« Ma mère. Si longtemps ma tête de liste. J’étais très dépendant d’elle. Dans les années 60, quand je suis venu à Paris, elle m’a suivi. Marié, je l’appelais tous les jours. Une femme timide, écrasée par un mari-cyclone. Et constamment décalée. Hervé Vilard, pour elle, ne pouvait qu’être le fils de Jean Vilar, le fondateur du festival d’Avignon, et le chanteur François Valéry descendait nécessairement de l’écrivain Paul Valéry. Ca ne l’empêchait pas de regarder passionnément mes émissions…Pour me critiquer sur ma cravate et ma coiffure ! Une vraie mère juive, qui n’a jamais vécu que pour ses fils… »
Et sans doute dans le deuil inavoué de sa première-née, la petite Monique, morte à l’âge de huit mois — Michel Drucker l’évoque pour la première fois dans le film que France 3 lui consacrera le 2 janvier prochain. Rien qu’à prononcer son nom, il se fait songeur. « Ca nous a peut-être plus marqués qu’on ne croyait». Puis, redevenu malicieux, il modère: « Ca aurait aussi le mérite d’expliquer pourquoi, à deux-trois ans, ma mère nous habillait comme des filles, mes frères et moi! » Puis il pondère encore : « Monique n’a jamais été un secret de famille. On allait régulièrement sur sa tombe. Elle aurait 70 ans et elle m’aurait sans doute beaucoup appris de la vie. »Et, dans la foulée, soulevé par sa certitude que le monde ne peut s’apprendre que par les femmes, il me dévide les souvenirs de ses initiatrices de jeunesse, inaccessibles égéries ou amantes anonymes, toutes systématiquement attendries par ses airs à la fois si convenables et tellement perdus…A commencer, côté professionnel, par une des femmes les plus puissantes des années 60, la productrice Michèle Arnaud, qui lui enseigna l’art et la manière de faire son chemin dans les chausse-trappes de la télé. Drucker n’a rien oublié des humiliations dont elle l’a abreuvé. Avec le recul, il préfère en rire: « C’était sa façon de m’apprendre le métier ! De toute façon, j’étais demandeur. Depuis le début, j’ai eu besoin de femmes plus âgées. » « Depuis le début… »… Il parle bien d’amour , cette fois ? Sans faire de chichis, il confirme. Manifestement ravi du privilège des sexagénaires : au bénéfice de l’âge, pouvoir parler en toute liberté des sujets les plus intimes : « Adolescent, les femmes furent mes maîtresses dans tous les sens du terme. Amoureuses et éducatrices. Et les stars que j’admirais étaient au plus beau de leur maturité: Danielle Darrieux, Micheline Presle, Françoise Fabian, Audrey Hepburn, Jeanne Moreau, Shirley Mac Laine, Jane Fonda… » Grâce à la télé, ensuite, il les a toutes rencontrées. Pour autant, il en parle toujours avec la ferveur de ses quinze ans: « Des femmes fortes, libres, chic, glamour, intelligentes, passionnées… Et leur charme, leur voix… Ah ! leur voix ! Les jeunes filles ne savent plus çà. Elles veulent toutes ressembler à des mannequins. C’est-à-dire à de la pâtisserie industrielle ! » Et dans le même élan de franchise, il lâche que — oui, bon, et alors ? — ces mauvais gâteaux-là, il lui est arrivé d’y goûter. Puis il me pointe la longue silhouette qui, derrière le paravent, vient d’enfiler une robe des années 30: « Dany… Celles qui ont pu croire que j’allais la quitter pour elles se sont sacrément mis le doigt dans l’œil… Oui, on a traversé des crises, des périodes où je n’étais jamais là. Mais on est restés d’accord sur l’essentiel. Je ne peux pas vivre sans elle. Ensemble, on ne s’est jamais ennuyés. Dès notre rencontre, il y a 37 ans, j’ai su où on allait. Vous vous souvenez de la Parisienne de Kiraz ? Dany était son clone parfait ! Notre secret, c’est que je la fais rire et qu’elle ne prend pas au sérieux. La seule femme qui pourrait me donner un coup de blues, c’est Jane Fonda. Mais pas la bimbo des années 60 ! Celle de maintenant. 71 ans ! »
L’œil s’étoile une dernière fois. Tendresse, auto-ironie ? Indémêlable. Puis à nouveau, un cri retentit : « Papy ! T’es prêt ? » Drucker feint de se prendre la tête entre les mains : « J’ai dit chef de clan, tout à l’heure ? Mais vous avez vu ? C’est pire que la télé !