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Portrait de Laurence Ferrari
Le 28 ao�t 2008
Sur le plateau en forme de vaisseau spatial où elle répète son JT, Laurence Ferrari est déjà dans les starting-blocks. Entièrement absorbée par le compte à rebours qui grésille dans son oreillette. Mais pas troublée pour un euro par l’ambiance NASA de la régie, murs marquetés d’écrans et câbles comme s’il en pleuvait. Très pilote de chasse avant le décollage, elle est manifestement à des années-lumière du space-opera qui remplit les gazettes, ces liaisons dangereuses qu’on lui prête avec un supposé versant noir de la force, sur fond de Nonce Paolini en Dark Vador, PPDA dans le rôle d’un Luke Skywalker sexagénaire et Claire Chazal en Princesse Léia qui pourrait bien lui chercher des crosses. Tout ce qui semble la turlupiner, à cet instant précis où, dix-neuf-huit-sept-six, les chiffres défilent implacablement à l’envers, c’est son prompteur dont on vient de changer le texte au dernier moment. Et elle ne pense sûrement pas non plus aux sept millions de télespectateurs, record d’Europe, qu’elle a courageusement accepté de fidéliser en des temps qui, même pour TF1, se font bien difficiles. Des gens qui pourtant, tout comme moi en ce moment, vont se faire un plaisir de la scruter au millimètre. Rien à dire sur son sage petit pull violet à discrètes manches ballon. En revanche, sa coiffure me déconcerte. Moitié faux chignon crêpé, moitié petites baguettes qui tombent derrière les oreilles, il y a de quoi faire plaisir à tout le monde. Mais pourquoi, sur la droite, cette petite mèche fofolle ? Notre future star serait-elle à bout de nerfs ?
Trop tard pour s’y attarder : trois-deux-un-zéro, générique et gros plan, c’est parti. A la seconde près, la Ferrari lance son journal. Derrière moi, on hoche la tête. Une fois de plus, impec et nickel-chrome, elle a été à la hauteur de sa réputation. Et pourtant, c’est la fille la plus attendue au tournant de la rentrée et elle a la presse aux trousses. Elle répond gentiment, mais sans jamais sortir des contours de sa bio : 41 ans, deux enfants, divorcée de Thomas Hughes, ex-star de Sept à huit, ex-joker de Claire Chazal, et fraîche transfuge du Dimanche plus de Canal. Tout en assumant franchement l’image qu’on lui renvoie : la blonde standard du bureau d’à côté, bosseuse et cool, celle qui vous répond toujours « Ca va » quand vous lui dites « Ca va ». L’anti-héroïne de Caméra-Café, la fourmi qui ne pique jamais de crises. Et dont vous ne savez rien. Jusqu’au jour où, comme çà , d’une simple chiquenaude, elle prend la place d’un pilier de la boîte. Et là , grosse et méchante rumeur: simple récompense du bon boulot? Attendue comme elle est au coin du bois, on comprend que Laurence Ferrari s’offre quelques répétitions, de la grand’messe du 20 heures. Et en peaufine, fignole et cale les moindres enchaînements « Histoire de retrouver ses marques, a précisé la chaîne. Laurence a longtemps remplacé Claire Chazal. »
De fait, elle n’a rien oublié. D’un bout à l’autre de ce vrai-faux JT, contrôle absolu. Même au moment où, histoire de tester ses réflexes, on lui balance dans l’oreillette une perverse petite avalanche de modifications. Mais pas de sortie de route, la Ferrari assure. Tout de même, elle a transpiré. La régie ordonne un raccord maquillage-coiffure. Les experts de la poudre et du peigne se précipitent. De leurs mains, elle réémerge lisse comme jamais. Et toujours assortie, à ma grande stupeur, de la petite mèche déjantée. C’est donc que, comme le reste, ce petit grain de folie était strictement programmé…
Et illico, retour à la répétition. Laurence Ferrari enchaîne sur le même ton qu’avant : neutralité-efficacité-sobrià ©té. De temps en temps, un soupçon de glamour, une discrète malice, voire un franc sourire destiné à atténuer la charge anxiogène de certaines mauvaises nouvelles, images de guerre, baisse du pouvoir d’achat, scènes de deuils et tutti quanti. Mais avant tout, respect du texte, des titres et du chrono. Et quand c’en est fini et qu’elle passe au debriefing, pas le moindre : « J’ai été bien ? » Ce qu’elle a réussi et raté, elle l’a déjà ciblé. Austère passion de la technique qui s’accorde mal avec son look : jupe droite des plus sexys et escarpins violets ultra-hauts. Je suggère : « Un jean suffirait, non, puisque vous êtes femme-tronc ? » Réponse d’actrice: « Ce serait bancal. J’ai besoin d’être dans mon personnage des pieds à la tête. Sans compter qu’il y a parfois des plans de jambes… » Puis elle disparaît au cÅ“ur d’une nuée de tecnhiciens pour achever son débriefing. Et pourtant, si attentive soit-elle à chacun, Laurence Ferrari continue de tout voir, on dirait, de ce qui se passe derrière elle. Sur les côtés, à gauche, à droite. Multidirectionnelle et comme bardée d’antennes, à la manière de certains insectes. Ce n’est pas le monde qui tourne autour d’elle, c’est elle qui tourne autour du monde. A l’évidence, le plus sûr de ses atouts.
Avec l’endurance. Et il lui en faut, en ce moment. Pas une seconde de répit. Le temps de me glisser que pour elle, la star, c’est l’info, et non celui qui la présente — la nouvelle ligne de TF1 — bien obligée tout de même de la jouer people un minimum. Et depuis quelques jours, de ce côté-là , ça se bouscule au portillon. Aujourd’hui, c’est le photographe du Monde qui trépigne. Laurence enchaîne sans souffler. Et puisque c’est Le Monde et que là -bas, çà ne rigole pas, elle passe instantanément du mode « cool » de notre conversation au mode « grave » du cliché qu’elle estime adapté au digne journal du soir. A mon avis, çà la gonfle d’avoir à tirer cette tronche, mais elle se maîtrise. Une fois de plus, elle trouve immédiatement la pose et le regard adéquats. Pro jusqu’au bout des cheveux. Même si la mèche foldingue commence à donner quelques signes de faiblesse.
Elle aussi, sans doute. Entre deux déclics de l’appareil, elle s’offre quelques respirations. Pour ne pas avoir à soupirer. Ou à baîller. Là , je suis certaine qu’elle pense à la semaine prochaine. Pas seulement au JT. A ce qui précède et ce qui suit, un scénario qu’elle me détaille pendant que le photographe cherche un nouvel éclairage : les longues heures de préparation, la lecture de la presse au bureau, dès 9 heures, puis à 10 heures, première conférence de rédaction, ensuite déjeuner sur place, écriture du journal jusqu’à 16 heures, le moment de la seconde conférence de rédaction. Et à partir de là , tout qui s’emballe, la pression qui monte, les nouvelles qui se bousculent – « C’est fou ce qui peut se passer le soir… »— les textes qu’il faut réécrire jusqu’au dernier moment, puis, durant tout le JT, ce zénith d’adrénaline qui ne retombera qu’une bonne heure plus tard, vers 22 heures, pour être aussitôt relayé par l’angoisse de la perfectionniste : « Mon principal défaut » confie-t-elle, « c’est que je n’arrive pas à lâcher prise. Heureusement, mes enfants m’aident à prendre du recul… » Et de soupirer comme toutes les mères qui se sentent de leur passion pour le travail : « Au moment d’accepter le poste, je les ai prévenus que je rentrerai tard. Je leur ai dit aussi que c’était quelque chose qui me passionnait et qu’on pourrait passer tous nos week-ends ensemble. Mais ils m’ont répondu : « Puisque ça te plaît, fonce… »
La séance photo reprend. Elle se fige à nouveau, sérieuse comme jamais. Je file interroger dans sa loge le trio maquilleuse-coiffeuse-styliste qui veille sur elle depuis onze ans. Bien plus fébriles que leur star, alors qu’ils la connaissent depuis onze ans. Et si fidèles à leur Laurence qu’ils trouvent gratifiant de voir leurs destins ligotés au sien. « Mais elle ne nous a jamais lâchés non plus ! » se défend aussitôt l’un des trois mousquetaires, l’inventeur de la petite mèche follette. « Quand elle choisit quelqu’un, elle sait toujours ce qu’elle fait. Et maintenant, on se connaît par cœur. » Sa coiffure, alors, qu’est-ce qu’elle raconte sur elle? « Une fille jeune, efficace, branchée et sûre. Ce qu’elle demande avant tout à sa coiffure, c’est la même chose qu’à nous. Ne pas la lâcher ! Et sa couleur est aussi son reflet. Blond brillant, charmeur et intelligent ! Blond gagnant !»
Eclat de rire général. Dont celui de Laurence, qui en a fini de servir sa lichette de gravité au Monde. Elle renchérit: « Et jamais blond frisé ! » Cà doit être une vieille blague de la fine équipe : ils sont tous morts de rire. Puis elle avise Myriam, sa styliste, occupée à trier les sobres vestes grises, jupes beiges et chemisiers noirs déjà programmés pour les JT de la semaine prochaine — du Burberry, on dirait bien, du Ralf Lauren et du Céline. Et elle repart aussi sec sur le terrain du boulot : « Les vêtements aussi, rien que du sobre, jamais d’ostentation. C’est ça aussi, le respect du public. Le JT rassemble toutes les classes sociales et toutes les générations. Et de mon côté, j’ai besoin de matières qui tiennent et qui me donnent une sensation de sécurité. On est tellement en danger, pendant le journal.»
Pour une fois, sa voix frémit. Mais si cette femme a des antennes, elle est aussi dotée d’une phénoménale carapace. Quelques instants plus tard, quand on se retrouve dans son bureau — pas l’ancien territoire de PPDA mais une pièce claire du premier étage, meublée dans le genre Ikéa et tout bêtement installée au coin de la rédaction — elle fait d’emblée tomber la herse sur sa vie privée. Pas un mot sur sa famille, pas un commentaire sur l’interview où son père, brut de fonte, a évoqué le suicide de sa mère et les rumeurs d’une liaison présidentielle. Plus laconique que jamais, elle se contente d’une moue: « Il a fait une erreur » Et, histoire de d’éviter d’avoir à commenter par surcroît de nouveaux bruits sur une romance avec le violoniste virtuose Renaud Capuçon — elle lâche, encore plus définitive : « Ma vie privée, c’est mon pré carré. Je n’ai pas l’intention de l’exposer. Ni de flirter avec les media en la montrant sans la montrer. Comme tout Français, j’ai droit au respect ! »
Et de fait, même dans ce bureau, nul indice sur son jardin secret. D’autant moins qu’elle est super-rangée, Miss Ferrari, ouh là ! Sur son bureau, rien qui traîne. Quelques news-magazine, mais alignés avec la même rigueur qu’à la médiathèque municipale. Pour le reste, seulement des balises perso, comme ce vieux manuel d’anglais de 4ème dont on ne voit pas trop bien ce qu’il vient faire là : « Auto-dérision, parce que j’ai vraiment des progrès à faire ! » Puis on écarquille les yeux sur la « une » de Libé encadrée qui annonce la mort de Julien Gracq. Pour une fois, Laurence Ferrari en devient presque romantique : « Je suis une vieille fan du Rivage des Syrtes. J’ai été jusqu’à en recopier des extraits entiers sur un cahier…» J’ai dû cependant manquer la plus précieuse de ses repères car c’est elle, pour une fois, qui me pointe sur le mur un portrait de Baudelaire.Puis me lit à haute voix la citation qui l’accompagne. Sa devise, à l’évidence. Elle n’est pas franchement gaie : « Il faut travailler, sinon par goût, sinon par désespoir, car tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que s’amuser. » Baudelaire et Gracq à TF1, j’en reste scotchée à la moquette. Et pourquoi ce culte du travail ? Par désespoir ? « Oui ». Puis elle enclenche la marche arrière. « Non, non, je corrige. J’ai beaucoup d’aptitude au bonheur. Je veux simplement dire que la vacuité, l’oisiveté me terrorisent. J’ai besoin de faire quelque chose de ma vie. L’humain ne cesse jamais de me passionner, même si je suis pessimiste et que je n’ai pas une haute idée de la nature humaine. Pourquoi ce plafond de verre, par exemple, qui bloque partout la carrière des femmes ? Pourquoi à la télé, aucune femme patron de chaîne ? Moyennant quoi, je m’efforce toujours de revenir à l’essentiel. Cela, je l’ai appris le jour où jeune journaliste à Europe 1, avec le même micro et à quelques heures d’intervalle, j’ai interviewé Yves-Saint Laurent et Catherine Deneuve, puis des sans-papiers maliens qui vivaient au milieu des rats »
Donc pas tout à fait une petite fourmi accrocheuse, Laurence Ferrari. Et bien davantage que la mécanique de précision où certains la résument. Plutôt une fille qui, de longue date, a compris le film de la vie. Et qui, au lieu de se prendre la tête entre les mains, a décidé d’avancer. Curieuse de tout et de tout le monde, mais cuirassée. Auto-blindée. Sauf quand la lâche, comme en ce moment, la petite mèche foldingue…
Trop tard pour s’y attarder : trois-deux-un-zéro, générique et gros plan, c’est parti. A la seconde près, la Ferrari lance son journal. Derrière moi, on hoche la tête. Une fois de plus, impec et nickel-chrome, elle a été à la hauteur de sa réputation. Et pourtant, c’est la fille la plus attendue au tournant de la rentrée et elle a la presse aux trousses. Elle répond gentiment, mais sans jamais sortir des contours de sa bio : 41 ans, deux enfants, divorcée de Thomas Hughes, ex-star de Sept à huit, ex-joker de Claire Chazal, et fraîche transfuge du Dimanche plus de Canal. Tout en assumant franchement l’image qu’on lui renvoie : la blonde standard du bureau d’à côté, bosseuse et cool, celle qui vous répond toujours « Ca va » quand vous lui dites « Ca va ». L’anti-héroïne de Caméra-Café, la fourmi qui ne pique jamais de crises. Et dont vous ne savez rien. Jusqu’au jour où, comme çà , d’une simple chiquenaude, elle prend la place d’un pilier de la boîte. Et là , grosse et méchante rumeur: simple récompense du bon boulot? Attendue comme elle est au coin du bois, on comprend que Laurence Ferrari s’offre quelques répétitions, de la grand’messe du 20 heures. Et en peaufine, fignole et cale les moindres enchaînements « Histoire de retrouver ses marques, a précisé la chaîne. Laurence a longtemps remplacé Claire Chazal. »
De fait, elle n’a rien oublié. D’un bout à l’autre de ce vrai-faux JT, contrôle absolu. Même au moment où, histoire de tester ses réflexes, on lui balance dans l’oreillette une perverse petite avalanche de modifications. Mais pas de sortie de route, la Ferrari assure. Tout de même, elle a transpiré. La régie ordonne un raccord maquillage-coiffure. Les experts de la poudre et du peigne se précipitent. De leurs mains, elle réémerge lisse comme jamais. Et toujours assortie, à ma grande stupeur, de la petite mèche déjantée. C’est donc que, comme le reste, ce petit grain de folie était strictement programmé…
Et illico, retour à la répétition. Laurence Ferrari enchaîne sur le même ton qu’avant : neutralité-efficacité-sobrià ©té. De temps en temps, un soupçon de glamour, une discrète malice, voire un franc sourire destiné à atténuer la charge anxiogène de certaines mauvaises nouvelles, images de guerre, baisse du pouvoir d’achat, scènes de deuils et tutti quanti. Mais avant tout, respect du texte, des titres et du chrono. Et quand c’en est fini et qu’elle passe au debriefing, pas le moindre : « J’ai été bien ? » Ce qu’elle a réussi et raté, elle l’a déjà ciblé. Austère passion de la technique qui s’accorde mal avec son look : jupe droite des plus sexys et escarpins violets ultra-hauts. Je suggère : « Un jean suffirait, non, puisque vous êtes femme-tronc ? » Réponse d’actrice: « Ce serait bancal. J’ai besoin d’être dans mon personnage des pieds à la tête. Sans compter qu’il y a parfois des plans de jambes… » Puis elle disparaît au cÅ“ur d’une nuée de tecnhiciens pour achever son débriefing. Et pourtant, si attentive soit-elle à chacun, Laurence Ferrari continue de tout voir, on dirait, de ce qui se passe derrière elle. Sur les côtés, à gauche, à droite. Multidirectionnelle et comme bardée d’antennes, à la manière de certains insectes. Ce n’est pas le monde qui tourne autour d’elle, c’est elle qui tourne autour du monde. A l’évidence, le plus sûr de ses atouts.
Avec l’endurance. Et il lui en faut, en ce moment. Pas une seconde de répit. Le temps de me glisser que pour elle, la star, c’est l’info, et non celui qui la présente — la nouvelle ligne de TF1 — bien obligée tout de même de la jouer people un minimum. Et depuis quelques jours, de ce côté-là , ça se bouscule au portillon. Aujourd’hui, c’est le photographe du Monde qui trépigne. Laurence enchaîne sans souffler. Et puisque c’est Le Monde et que là -bas, çà ne rigole pas, elle passe instantanément du mode « cool » de notre conversation au mode « grave » du cliché qu’elle estime adapté au digne journal du soir. A mon avis, çà la gonfle d’avoir à tirer cette tronche, mais elle se maîtrise. Une fois de plus, elle trouve immédiatement la pose et le regard adéquats. Pro jusqu’au bout des cheveux. Même si la mèche foldingue commence à donner quelques signes de faiblesse.
Elle aussi, sans doute. Entre deux déclics de l’appareil, elle s’offre quelques respirations. Pour ne pas avoir à soupirer. Ou à baîller. Là , je suis certaine qu’elle pense à la semaine prochaine. Pas seulement au JT. A ce qui précède et ce qui suit, un scénario qu’elle me détaille pendant que le photographe cherche un nouvel éclairage : les longues heures de préparation, la lecture de la presse au bureau, dès 9 heures, puis à 10 heures, première conférence de rédaction, ensuite déjeuner sur place, écriture du journal jusqu’à 16 heures, le moment de la seconde conférence de rédaction. Et à partir de là , tout qui s’emballe, la pression qui monte, les nouvelles qui se bousculent – « C’est fou ce qui peut se passer le soir… »— les textes qu’il faut réécrire jusqu’au dernier moment, puis, durant tout le JT, ce zénith d’adrénaline qui ne retombera qu’une bonne heure plus tard, vers 22 heures, pour être aussitôt relayé par l’angoisse de la perfectionniste : « Mon principal défaut » confie-t-elle, « c’est que je n’arrive pas à lâcher prise. Heureusement, mes enfants m’aident à prendre du recul… » Et de soupirer comme toutes les mères qui se sentent de leur passion pour le travail : « Au moment d’accepter le poste, je les ai prévenus que je rentrerai tard. Je leur ai dit aussi que c’était quelque chose qui me passionnait et qu’on pourrait passer tous nos week-ends ensemble. Mais ils m’ont répondu : « Puisque ça te plaît, fonce… »
La séance photo reprend. Elle se fige à nouveau, sérieuse comme jamais. Je file interroger dans sa loge le trio maquilleuse-coiffeuse-styliste qui veille sur elle depuis onze ans. Bien plus fébriles que leur star, alors qu’ils la connaissent depuis onze ans. Et si fidèles à leur Laurence qu’ils trouvent gratifiant de voir leurs destins ligotés au sien. « Mais elle ne nous a jamais lâchés non plus ! » se défend aussitôt l’un des trois mousquetaires, l’inventeur de la petite mèche follette. « Quand elle choisit quelqu’un, elle sait toujours ce qu’elle fait. Et maintenant, on se connaît par cœur. » Sa coiffure, alors, qu’est-ce qu’elle raconte sur elle? « Une fille jeune, efficace, branchée et sûre. Ce qu’elle demande avant tout à sa coiffure, c’est la même chose qu’à nous. Ne pas la lâcher ! Et sa couleur est aussi son reflet. Blond brillant, charmeur et intelligent ! Blond gagnant !»
Eclat de rire général. Dont celui de Laurence, qui en a fini de servir sa lichette de gravité au Monde. Elle renchérit: « Et jamais blond frisé ! » Cà doit être une vieille blague de la fine équipe : ils sont tous morts de rire. Puis elle avise Myriam, sa styliste, occupée à trier les sobres vestes grises, jupes beiges et chemisiers noirs déjà programmés pour les JT de la semaine prochaine — du Burberry, on dirait bien, du Ralf Lauren et du Céline. Et elle repart aussi sec sur le terrain du boulot : « Les vêtements aussi, rien que du sobre, jamais d’ostentation. C’est ça aussi, le respect du public. Le JT rassemble toutes les classes sociales et toutes les générations. Et de mon côté, j’ai besoin de matières qui tiennent et qui me donnent une sensation de sécurité. On est tellement en danger, pendant le journal.»
Pour une fois, sa voix frémit. Mais si cette femme a des antennes, elle est aussi dotée d’une phénoménale carapace. Quelques instants plus tard, quand on se retrouve dans son bureau — pas l’ancien territoire de PPDA mais une pièce claire du premier étage, meublée dans le genre Ikéa et tout bêtement installée au coin de la rédaction — elle fait d’emblée tomber la herse sur sa vie privée. Pas un mot sur sa famille, pas un commentaire sur l’interview où son père, brut de fonte, a évoqué le suicide de sa mère et les rumeurs d’une liaison présidentielle. Plus laconique que jamais, elle se contente d’une moue: « Il a fait une erreur » Et, histoire de d’éviter d’avoir à commenter par surcroît de nouveaux bruits sur une romance avec le violoniste virtuose Renaud Capuçon — elle lâche, encore plus définitive : « Ma vie privée, c’est mon pré carré. Je n’ai pas l’intention de l’exposer. Ni de flirter avec les media en la montrant sans la montrer. Comme tout Français, j’ai droit au respect ! »
Et de fait, même dans ce bureau, nul indice sur son jardin secret. D’autant moins qu’elle est super-rangée, Miss Ferrari, ouh là ! Sur son bureau, rien qui traîne. Quelques news-magazine, mais alignés avec la même rigueur qu’à la médiathèque municipale. Pour le reste, seulement des balises perso, comme ce vieux manuel d’anglais de 4ème dont on ne voit pas trop bien ce qu’il vient faire là : « Auto-dérision, parce que j’ai vraiment des progrès à faire ! » Puis on écarquille les yeux sur la « une » de Libé encadrée qui annonce la mort de Julien Gracq. Pour une fois, Laurence Ferrari en devient presque romantique : « Je suis une vieille fan du Rivage des Syrtes. J’ai été jusqu’à en recopier des extraits entiers sur un cahier…» J’ai dû cependant manquer la plus précieuse de ses repères car c’est elle, pour une fois, qui me pointe sur le mur un portrait de Baudelaire.Puis me lit à haute voix la citation qui l’accompagne. Sa devise, à l’évidence. Elle n’est pas franchement gaie : « Il faut travailler, sinon par goût, sinon par désespoir, car tout bien vérifié, travailler est moins ennuyeux que s’amuser. » Baudelaire et Gracq à TF1, j’en reste scotchée à la moquette. Et pourquoi ce culte du travail ? Par désespoir ? « Oui ». Puis elle enclenche la marche arrière. « Non, non, je corrige. J’ai beaucoup d’aptitude au bonheur. Je veux simplement dire que la vacuité, l’oisiveté me terrorisent. J’ai besoin de faire quelque chose de ma vie. L’humain ne cesse jamais de me passionner, même si je suis pessimiste et que je n’ai pas une haute idée de la nature humaine. Pourquoi ce plafond de verre, par exemple, qui bloque partout la carrière des femmes ? Pourquoi à la télé, aucune femme patron de chaîne ? Moyennant quoi, je m’efforce toujours de revenir à l’essentiel. Cela, je l’ai appris le jour où jeune journaliste à Europe 1, avec le même micro et à quelques heures d’intervalle, j’ai interviewé Yves-Saint Laurent et Catherine Deneuve, puis des sans-papiers maliens qui vivaient au milieu des rats »
Donc pas tout à fait une petite fourmi accrocheuse, Laurence Ferrari. Et bien davantage que la mécanique de précision où certains la résument. Plutôt une fille qui, de longue date, a compris le film de la vie. Et qui, au lieu de se prendre la tête entre les mains, a décidé d’avancer. Curieuse de tout et de tout le monde, mais cuirassée. Auto-blindée. Sauf quand la lâche, comme en ce moment, la petite mèche foldingue…