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Robbe-Grillet : Mort d'un bon vivant
Le 28 f�vrier 2008
Quand on s’apprêtait à dîner pour la première fois avec Alain Robbe-Grillet, c’était immanquablement la panique. Fallait-il se repasser en accéléré une cassette de« L’année dernière à Marienbad » ? Réviser « Le Voyeur », se retaper « Les Gommes » de la première à la dernière ligne ? Vaine terreur: une fois à table, Robbe-Grillet allait à l’essentiel, c’est-à-dire à son assiette. Surtout si elle contenait des huîtres. Il pouvait en engloutir trois douzaines, arrosées d’une bouteille de rouge pour lui tout seul. Il fallait aussi le voir fouailler les membranes et valvules des coquillages. Mêmes gestes avides, précis et quasi-chirurgicaux qu’aux amateurs de jouvencelles prépubères qui peuplent ses romans. Et inutile de chercher à placer un couplet sur la narratologie : il s’en foutait royalement. Il préférait, entre deux bouchées, se livrer aux délices de persifler sur quelque digne confrère ou consoeur. Avec une prédilection marquée pour feue Marguerite Duras. Le prophète de la déconstruction romanesque se métamorphosait alors en prodigieux conteur qui n’en ratait pas une, vous suspendait à ses récits mieux que Schéhérazade et vous faisait mourir de rire. Mais dès l’arrivée du plat suivant, il revenait aux choses sérieuses, c’est-à-dire à la nourriture et au vin, qu’il recommençait savourer en vieux chanoine, religieux, passionnément concentré. Voilà sans doute pourquoi, douze ans durant, il n’a raté aucune édition des « Journées du Livre et du Vin » de Saumur et s’est si assidûment réjoui de pouvoir s’y frotter à un large public, autant assoiffé de bonne littérature que de dive bouteille. Le seul salon du livre auquel il eût jamais participé. Au contact de cette gaillarde fraternité des mots et des mets, il semblait retrouver ses marques, lui qui passait une bonne partie de son temps entre Chicago et Kiev, Sao Paulo et Shanghaï, à disséquer dans un silence de cathédrale les arcanes de la littérature moderne. Il n’était jamais aussi heureux à Saumur que le samedi sur le coup de onze heures du matin, quand il pouvait enfin savourer le mâchon de boudin, andouille et pâté de tête mitonné par le régional de l’étape, Girardeau, champion d’Europe du pied-de-cochon. Il en était si entiché que, pour la fête qu’il organisa aux « Deux Magots » le soir de son élection à l’Académie, il en voulut de pleines marmites, qu’il fit arroser de « Nonpareille », un cru mûri lui aussi sur les côteaux de Loire. Il soutint donc avec ardeur la création de la fantaisiste « République des Non-pareils » et y accepta avec le même humour pince-sans-rire le portefeuille de « Ministre des Plantations exotiques et du Mérite agricole » : naguère très sérieux ingénieur agronome et éminent spécialiste de la banane ( çà ne s’invente pas non plus ! ) il s’était démené toute sa vie pour… ne pas recevoir cette décoration ! Dans ces conditions, rien d’étonnant à ce que, lors d’une ces joyeuses journées, une romancière assez connue lui ait dévoilé, telle Agnès Sorel, son téton gauche, et roulé un patin : il l’en avait mise au défi mais, à sa grande surprise, elle l’avait relevé. Pris de court,Robbe-Grillet trouva vite la parade : il prétendit qu’elle l’avait violé…Un autre soir, la rumeur courut qu’il organisait une partouze à la chambre 17 de son hôtel. Il renifla le canular, mais l’accrédita dans la seconde. Et quelques heures plus tard, comme il l’avait prévu, certains ( qu’on ne dénoncera pas ) allèrent gratter à sa porte. L’affaire déboucha sur un petit livre où chacun des conjurés, de Jean-Claude Brialy à Marc Lambron, Tillinac et moi-même, imagina ce qui s’était passé cette nuit-là dans la chambre du Maître. C’est dans ce petit opus, seulement diffusé par chapitre.com, que s’approche au mieux le versant lumineux de Robbe-Grillet. Sous sa soutane de pape du nouveau roman, un sacré gai luron !

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