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Denis Tillinac : Un nouveau Cyrano
Le 28 janvier 2008
Il n’a pas fait un pas dans ce salon Rive gauche que l’évidence me saute aux yeux: j’ai affaire à un lion en cageDenis Tillinac est à cran. Est-ce la récente interdiction de fumer dans les lieux publics qui enflamme les neurones de cet accro du tabac? Ou une inquiétude plus viscérale, inscrite depuis longtemps en longs sillons anxieux dans son front tourmenté ? Inutile de titiller le Tillinac, la réponse ne se fait pas attendre: « Mon esprit est pessimiste, mon corps optimiste, et mon âme fait la synthèse ». Et comme piqué par un éperon invisible, voici que son impatience se métamorphose en jaillissement non-stop d’idées et de formules. Toutes si bien frappées au coin de la littérature qu’on devine que pour lui, parler, c’est écrire. Et non l’inverse. Par conséquent, impossible d’établir un distinguo entre l’homme-Tillinac et son dernier opus, ce chatoyant et truculent « Dictionnaire amoureux de la France » ( Plon ) qu’il avait dans la peau avant même qu’un éditeur ne le lui propose. « Ce livre ressemble à une femme que j’aurais longtemps désirée en secret et qu’on m’aurait offerte quand je ne l’attendais plus… » Tillinac, en tout cas, s’est magistralement approprié la formule de la célèbre collection. A chaque entrée de ce répertoire des passions et emblèmes qui nous font crier cocorico, de « Cyrano » à « Zidane », d’« Impressionnistes » à « Resquille, » de « TGV », à « Pain », «Piaf » et « Ricard » on retrouve partout le phrasé Tillinac. Franc du collier, charnel, canaille, poétique, politique, polémique, populot parfois, mais juste ce qu’il faut. Visions d’amant, non jus de crâne savant. Puits de science, pourtant, Tillinac l’est aussi. Belle lurette qu’il a dévoré, puis digéré toutes les grandes Histoires de France, Guizot, Lavisse, Michelet, Braudel, Furet. Mais panache à la d’’Artagnan — « le frère que je n’ai jamais eu » — il a le bon goût de faire oublier son érudition en l’enrobant sous de petits croquis pris sur le vif, ou dans le grand galop de subites fulgurances. Si riches en perspectives inattendues qu’on ne résiste pas à la tentation de questionner ce chiraquien de cœur sur les débuts de l’« ère Sarkozy ». Son sens historique fait aussitôt mouche : « Sarko ne m’évoque pas Bonaparte mais Napoléon III. Son entourage ressemble d’ailleurs trait pour trait aux héros de Zola dans « La fortune des Rougon ». Même renouvellement subit des générations. Même envie de faire. Même grandes figures d’entrepreneurs façon Pereire et Haussmann. Mais pour réussir, Sarko devra s’adosser à des fondamentaux de la France départementale qui ne jouent pas dans la cour des média. Vanité mise à part, je pense donc qu’il peut trouver dans mon livre ces fondamentaux qui lui manquent et dont il souffre, parce qu’il est incertain de ses racines. »
Racines, le mot est lâché. Tillinac-Barrès, même combat ? Il écarte l’insinuation d’une simple chiquenaude : « Non. J’aime France dans sa diversité, son histoire et ses grandes figures, Saint-Louis, de Gaulle, ces hommes qui ont eu des objectifs plus larges que la défense et la puissance de la nation. La France, c’est la plus belle histoire-géo au monde. Une phénoménale damasserie géographique, culturelle et humaine où tout se côtoie,le panache et la resquille, la grandeur et le Système D… » Ne pas suggérer alors que le propos sonne un peu franchouillard : Tillinac s’en fout. En vieux briscard des étripages idéologiques, il enchaîne derechef sur une ode à notre douce France. En des termes si lyriques qu’on renonce à en relever les accents un poil machos : « La France est de ces femmes pas faciles à vivre, capricieuses et qui mettent la barre très haut. Pas moyen de s’en faire aimer par un donjuanisme ordinaire. C’est une amoureuse subtile, qui, comme nos femmes, se repère de très loin… » Et en bon Gaulois qui ne s’est jamais caché de son nomadisme sexuel, il pousse la métaphore jusqu’à chanter ses deux amours, la province et Paris, puis son va-et-vient constant entre sa brillante maîtresse, la capitale, « amante belle, exigeante et glaciale, qui jette ses amants comme la Reine Margot » et son épouse légitime, la province « matrice des certitudes, douceur, lenteur ». De toute façon, où qu’il promène son museau curieux de tout, petite gare de campagne, improbable Hôtel des Voyageurs, granit de sa chère Corrèze ou bitume de Saint-Germain-des Prés, Tillinac ne se laisse jamais entortiller par les longes de la modernité, portable, ordi, Internet. Tout à l’ancienne ! Des lustres qu’il n’a pas poussé les portes d’un cinéma. Même la télé, connaît pas. Depuis ses débuts de localier à Tulle, jusqu’à son passage aux commandes des Editions de la Table Ronde, il ne s’est jamais fié qu’aux livres et aux journaux, aux obscures feuilles de chou comme aux gazettes nationales dont les gros titres font et défont l’opinion. Son espace et son souffle, depuis toujours : l’écrit, l’écriture, les écrivains. Cà y est, je commence à comprendre pourquoi il me fait cet effet de lion en cage. Ce n’est pas le manque de cigarettes. Mais l’irrépressible, l’irréductible envie d’aller faire, au plus tôt, l’amour à une page vierge. Avec la même fougue qu’à cette France qu’il a décidément dans la peau !
Racines, le mot est lâché. Tillinac-Barrès, même combat ? Il écarte l’insinuation d’une simple chiquenaude : « Non. J’aime France dans sa diversité, son histoire et ses grandes figures, Saint-Louis, de Gaulle, ces hommes qui ont eu des objectifs plus larges que la défense et la puissance de la nation. La France, c’est la plus belle histoire-géo au monde. Une phénoménale damasserie géographique, culturelle et humaine où tout se côtoie,le panache et la resquille, la grandeur et le Système D… » Ne pas suggérer alors que le propos sonne un peu franchouillard : Tillinac s’en fout. En vieux briscard des étripages idéologiques, il enchaîne derechef sur une ode à notre douce France. En des termes si lyriques qu’on renonce à en relever les accents un poil machos : « La France est de ces femmes pas faciles à vivre, capricieuses et qui mettent la barre très haut. Pas moyen de s’en faire aimer par un donjuanisme ordinaire. C’est une amoureuse subtile, qui, comme nos femmes, se repère de très loin… » Et en bon Gaulois qui ne s’est jamais caché de son nomadisme sexuel, il pousse la métaphore jusqu’à chanter ses deux amours, la province et Paris, puis son va-et-vient constant entre sa brillante maîtresse, la capitale, « amante belle, exigeante et glaciale, qui jette ses amants comme la Reine Margot » et son épouse légitime, la province « matrice des certitudes, douceur, lenteur ». De toute façon, où qu’il promène son museau curieux de tout, petite gare de campagne, improbable Hôtel des Voyageurs, granit de sa chère Corrèze ou bitume de Saint-Germain-des Prés, Tillinac ne se laisse jamais entortiller par les longes de la modernité, portable, ordi, Internet. Tout à l’ancienne ! Des lustres qu’il n’a pas poussé les portes d’un cinéma. Même la télé, connaît pas. Depuis ses débuts de localier à Tulle, jusqu’à son passage aux commandes des Editions de la Table Ronde, il ne s’est jamais fié qu’aux livres et aux journaux, aux obscures feuilles de chou comme aux gazettes nationales dont les gros titres font et défont l’opinion. Son espace et son souffle, depuis toujours : l’écrit, l’écriture, les écrivains. Cà y est, je commence à comprendre pourquoi il me fait cet effet de lion en cage. Ce n’est pas le manque de cigarettes. Mais l’irrépressible, l’irréductible envie d’aller faire, au plus tôt, l’amour à une page vierge. Avec la même fougue qu’à cette France qu’il a décidément dans la peau !