Mes articles
Arnaud de Rosnay par Tatiana de Rosnay
Le 01 mai 2007
« Le jour où j’ai compris que mon oncle Arnaud de Rosnay ne reviendrait jamais »
C'est arrivé le 20 octobre 2004. J’entends encore la voix de mon père Joël au téléphone : « Un journaliste de Télé 7 jours veut commémorer les vingt ans de la disparition d’Arnaud. Ils me demandent des archives sur lui. J’en ai tout un placard. Mais je n’ai pas la force de me remettre là-dedans. Fais-le à ma place. » J’accepte. Sur le chemin, tout de même, je suis assaillie par une émotion étrange. Je me raisonne: « Il faut à tout prix que je me domine ». Mais je n’imagine pas du tout le choc que je vais ressentir en inventoriant ce placard. Il faut dire que vingt ans après sa disparition, personne dans ma famille n’a jamais prononcé la phrase : « Arnaud est mort. » Nous en sommes tous restés à la sensation de vide immense qui a entouré les semaines de fin 1984 où il n’a plus donné signe de vie après avoir quitté Taïwan pour tenter de rallier la Chine en planche à voile. Et comme tous ceux qui n’ont pas récupéré le corps de l’être cher, nous n’avons toujours pas fait notre deuil. Au bout de quelques semaines de silence, quand l’angoisse avait tourné à la détresse, nous avions fait comme s’il allait revenir. Au moment de Noël, nous nous étions soudés autour de sa jeune femme Jenna et de sa petite fille Alizé, un merveilleux bébé qui n’avait pas six mois. Puis Jenna, peu à peu, avait repris sa vie en main, avec un courage exceptionnel pour une fille aussi jeune. Quelques malveillants avaient insinué que la disparition d’Arnaud n’était qu’un coup de pub et qu’il allait réapparaître un jour ou l’autre, auréolé d’une gloire frelatée, ce qui avait accru notre souffrance. Et épaissi notre silence. A mesure que les mois et les années filaient, des questions insidieuses s’étaient mises à me tarauder : Qui était vraiment Arnaud? Je n’avais pas de réponse, mais je le revoyais souvent en rêve. La plupart du temps, il sonnait à la porte de notre appartement, sanglé dans un costume ultra-chic, portant son éternel attaché-case monogrammé, et demandant comme chaque fois qu’il était dans la dèche : « Vous n’auriez pas un petit bout de fromage ? ». Et voilà qu’en ce jour d’automne, devant ce placard béant qui regorge de photos, de cassettes vidéos sur Arnaud, je prends en pleine face l’évidence de sa mort. Oui, c’était fini, vraiment fini, il ne reviendrait jamais dans sa beauté solaire, celle qui éclatait à la une de tous les magazines que j’extrayais peu à peu des rayonnages…Je m’entends bientôt murmurer: « Il avait 37 ans quand il est mort, et moi, j’en ai déjà 42.. » A chaque photo, à chaque cassette, je retrouve son allure flamboyante et flambeuse, son côté chien fou, séducteur, insolent, et infiniment libre. A la fin de la journée, c’en est trop : je demande à mon père si je peux faire visionner à mes enfants une des cassettes. Il accepte. Louis et Charlotte, alors âgés de 13 et 15 ans, découvrent alors ce grand-oncle inconnu et ils sont saisis, encore plus que moi, par son rayonnement, sa jeunesse, sa vitalité intense. Avec le recul, je m’aperçois aussi qu’Arnaud s’exprimait remarquablement. Pourquoi donc avait-il été si complexé par l’aisance de mon père ? A la fin de la cassette, frappés par son extraordinaire élégance de propos et d’allure, même en maillot de bain, mes enfants partent du même cri: « C’était quelqu’un ! » Du coup, j’ai trouve la force de demander à mon père : « Parle-moi d’Arnaud ». Puis j’ai questionné ma tante, mes cousins ; et la parole a commencé à circuler entre nous tous. Chacun détenait un petit trésor de souvenirs. Un an plus tôt, sans savoir au juste pourquoi, j’avais écrit un roman : « Elle s’appelait Sarah », qui raconte l’histoire d’une journaliste qui, soixante ans après le drame du Vel d’Hiv, cherche à toutes fins à savoir ce qui est advenu des enfants pris dans la rafle. J’ai fini par en comprendre la raison : c’était l’histoire d’êtres humains qui, comme Arnaud, n’avaient pas eu leur tombe, et la souffrance d’une famille enfermée dans le silence. Il aurait à présent soixante ans. Quand je pense à lui, à présent, j’éprouve la même émotion que face à ce placard bourré de photos radieuses : je me dis qu’il restera à jamais cet homme splendide, solaire et que, pour autant j’aurais aimé le voir vieillir. Alors, le jour où je serai prête, j’écrirai un livre sur lui.
Ecrivain et journaliste, Tatiana de Rosnay est la nièce d’Arnaud de Rosnay et la fille du grand scientifique Joël de Rosnay. Arnaud fut une figure marquante de son enfance et de son adolescence. Elle vient de publier un roman salué par la critique et traduit en 18 langues « Elle s’appelait Sarah » ( éditions Héloïse d’Ormesson)
C'est arrivé le 20 octobre 2004. J’entends encore la voix de mon père Joël au téléphone : « Un journaliste de Télé 7 jours veut commémorer les vingt ans de la disparition d’Arnaud. Ils me demandent des archives sur lui. J’en ai tout un placard. Mais je n’ai pas la force de me remettre là-dedans. Fais-le à ma place. » J’accepte. Sur le chemin, tout de même, je suis assaillie par une émotion étrange. Je me raisonne: « Il faut à tout prix que je me domine ». Mais je n’imagine pas du tout le choc que je vais ressentir en inventoriant ce placard. Il faut dire que vingt ans après sa disparition, personne dans ma famille n’a jamais prononcé la phrase : « Arnaud est mort. » Nous en sommes tous restés à la sensation de vide immense qui a entouré les semaines de fin 1984 où il n’a plus donné signe de vie après avoir quitté Taïwan pour tenter de rallier la Chine en planche à voile. Et comme tous ceux qui n’ont pas récupéré le corps de l’être cher, nous n’avons toujours pas fait notre deuil. Au bout de quelques semaines de silence, quand l’angoisse avait tourné à la détresse, nous avions fait comme s’il allait revenir. Au moment de Noël, nous nous étions soudés autour de sa jeune femme Jenna et de sa petite fille Alizé, un merveilleux bébé qui n’avait pas six mois. Puis Jenna, peu à peu, avait repris sa vie en main, avec un courage exceptionnel pour une fille aussi jeune. Quelques malveillants avaient insinué que la disparition d’Arnaud n’était qu’un coup de pub et qu’il allait réapparaître un jour ou l’autre, auréolé d’une gloire frelatée, ce qui avait accru notre souffrance. Et épaissi notre silence. A mesure que les mois et les années filaient, des questions insidieuses s’étaient mises à me tarauder : Qui était vraiment Arnaud? Je n’avais pas de réponse, mais je le revoyais souvent en rêve. La plupart du temps, il sonnait à la porte de notre appartement, sanglé dans un costume ultra-chic, portant son éternel attaché-case monogrammé, et demandant comme chaque fois qu’il était dans la dèche : « Vous n’auriez pas un petit bout de fromage ? ». Et voilà qu’en ce jour d’automne, devant ce placard béant qui regorge de photos, de cassettes vidéos sur Arnaud, je prends en pleine face l’évidence de sa mort. Oui, c’était fini, vraiment fini, il ne reviendrait jamais dans sa beauté solaire, celle qui éclatait à la une de tous les magazines que j’extrayais peu à peu des rayonnages…Je m’entends bientôt murmurer: « Il avait 37 ans quand il est mort, et moi, j’en ai déjà 42.. » A chaque photo, à chaque cassette, je retrouve son allure flamboyante et flambeuse, son côté chien fou, séducteur, insolent, et infiniment libre. A la fin de la journée, c’en est trop : je demande à mon père si je peux faire visionner à mes enfants une des cassettes. Il accepte. Louis et Charlotte, alors âgés de 13 et 15 ans, découvrent alors ce grand-oncle inconnu et ils sont saisis, encore plus que moi, par son rayonnement, sa jeunesse, sa vitalité intense. Avec le recul, je m’aperçois aussi qu’Arnaud s’exprimait remarquablement. Pourquoi donc avait-il été si complexé par l’aisance de mon père ? A la fin de la cassette, frappés par son extraordinaire élégance de propos et d’allure, même en maillot de bain, mes enfants partent du même cri: « C’était quelqu’un ! » Du coup, j’ai trouve la force de demander à mon père : « Parle-moi d’Arnaud ». Puis j’ai questionné ma tante, mes cousins ; et la parole a commencé à circuler entre nous tous. Chacun détenait un petit trésor de souvenirs. Un an plus tôt, sans savoir au juste pourquoi, j’avais écrit un roman : « Elle s’appelait Sarah », qui raconte l’histoire d’une journaliste qui, soixante ans après le drame du Vel d’Hiv, cherche à toutes fins à savoir ce qui est advenu des enfants pris dans la rafle. J’ai fini par en comprendre la raison : c’était l’histoire d’êtres humains qui, comme Arnaud, n’avaient pas eu leur tombe, et la souffrance d’une famille enfermée dans le silence. Il aurait à présent soixante ans. Quand je pense à lui, à présent, j’éprouve la même émotion que face à ce placard bourré de photos radieuses : je me dis qu’il restera à jamais cet homme splendide, solaire et que, pour autant j’aurais aimé le voir vieillir. Alors, le jour où je serai prête, j’écrirai un livre sur lui.
Ecrivain et journaliste, Tatiana de Rosnay est la nièce d’Arnaud de Rosnay et la fille du grand scientifique Joël de Rosnay. Arnaud fut une figure marquante de son enfance et de son adolescence. Elle vient de publier un roman salué par la critique et traduit en 18 langues « Elle s’appelait Sarah » ( éditions Héloïse d’Ormesson)