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Mariages du 3ème millénaire
Le 05 mai 2007
Vague blanche. D’un bout à l’autre de l’hexagone, hystérie matrimoniale. Calèches fleuries, lancers de pétales, fâcheries tribales. Beaux-parents mégalos, disc-jockeys paranos, curés surbookés, traiteurs débordés, coiffeurs survoltés, fabricants de confetti et de dragées dévalisés. Au guichet des boîtes spécialisées dans les enterrements de vie de jeune fille, listes d’attente presque aussi longues que les traînes immaculées qu’on propose, à l’ancienne, dans les magasins pour mariées. Jusqu’aux banquiers qui sont assiégés par les tourtereaux en mal de financement. Lesquels, fussent-ils étranglés par les traites de leur pavillon, les frais des nounous de leurs marmots et la pension alimentaire de leur ex’, n’en démordent pas: ruinés ou pas, ils se passeront la bague au doigt. Rien que pour ressembler, quelques heures durant, quelques heures seulement, aux people. Tous les Jean-Pierre Pernaud et Nathalie Marquay, Guy Carlier et Joséphine Dard, Sylvie Tellier et son Camille chéri qui viennent de convoler dans toutes les règles de l’art. Une liste loin d’être close : chez les gens célèbres comme dans nos belles campagnes, noces à répétition. Là aussi, le temps de fiesta règlementaire dépasse de loin les trente-cinq heures : deux jours minimum. Sans récupération : un vrai marathon. D’autant plus harassant que les week-ends nuptiaux ne cessent de s’enchaîner. Les people sont épuisés : après Nicolas Hanelka, qui a ouvert le bal le 10 juin en épousant sa blondissime Barbara à Marrakech sur fond de palais des Mille-et-une Nuits, le chanteur Rod Steward a remis ça quelques jours plus tard sous le ciel d’Italie, en disant oui pour la troisième fois de sa vie à Penny Lancaster, mannequin de 26 ans sa cadette. Et on n’avait pas fini de s’extasier devant les ruisseaux de perles et diamants dont il l’avait royalement couverte qu’un faire-part frappé d’une flashante Tour Eiffel rouge passion annonçait, pour le 7 juillet, des noces bien plus ébourriffantes: celles du basketteur Toni Parker et de la star de Desperate Housewives, Eva Longoria. Hébergement gracieux d’une grosse centaine d’invités dans un palace parisien, réservation du meilleur DJ de la capitale, location du château de Vaux-le Vicomte et de ses centaines d’hectares, les deux fiancés n’ont pas lésiné. Montant estimé de l’addition : 2 millions de dollars … Mais les abonnés au magnum de champagne et à la pièce montée devront se détoxifier à la vitesse grand V: moins de trois semaines plus tard, le 27 juillet, Cécile de Menibus et Yann Delaigue, à leur tour, nous la joueront marche nuptiale. Après quoi, aussi sec, il faudra enchaîner sur le mariage de la star française qu’on croyait la plus réticente au gri-gri en bas d’un parchemin : Emmanuelle Béart. Entourée de ses enfants, elle devrait convoler début août avec l’acteur Michaël Cohen, de six ans son cadet. Et on n’en sera pas remis que déjà, il faudra songer aux épousailles de François Barouin et Marie Drucker, envisagées pour l’automne, puis derechef se préparer à ce qui s’annonce comme la fiesta matrimoniale la plus flambante de la fin 2007 : celle de la pulpeuse et hollywoodienne Salma Hayek avec François-Henri Pinault, héritier de l’empire de son père le breton François Pinault. Mais si ce parcours du combattant promet d’être exténuant — et ruineux, au prix où culminent le haut-de-forme et la capeline de soie — il s’annonce aussi très fécond en surprises : depuis décembre 2000, date du où Madonna convola avec le Guy Richtie de son coeur, la règle, pour le Grand Jour, a été définitivement arrêtée : épater, quel qu’en soit le prix. Qu’il pleuve ou qu’il vente, que le troupeau des invités soit abruti de canicule ou congelé par une subite invasion de froid polaire, nulle importance, pourvu que soit respectée la loi people en matière de mariage: en veux-tu en voilà, inventivité et raffinement dans le tralala. Laisser tout le monde pantois, les parents, les voisins, les amis étourdis, ahuris, ébobis, complètement baba. Madonna, la première, l’avait compris : noces somptueuses, com fabuleuse. Et elle aborda ce jour historique de la fin 2000 en experte : en 1985, son premier mariage avec Sean Penn avait déjà laissé à ses potes un souvenir impérissable. Mais pour les beaux yeux de son Guy Richtie, jamais en mal de défi, elle remit une sérieuse couche: au nord de l’Ecosse et en plein hiver, location d’un vieux château viking rénové gothique, avec vitraux et fantôme. Le jour de la cérémonie, port d’une croix de diamants de 37 carats et d’un diadème ayant appartenu à Grace de Monaco. Robe de mariée à 25 000 euros. Festivités à base de panse de brebis farcie et whisky à gogo. Danses gaéliques entrelardées de toccatas de Bach. Enfin toutes les forêts et landes environnantes mises sous contrôle de la CIA…Deux mariages du siècle en moins de quinze ans, le record parut insurpassable. C’était sans compter sans les spécialistes mondiaux du luxe nuptial, les Indiens. Expérience du faste multimillénaire, fortunes archimilliardaires : nul pourtant ne les vit venir. Jusqu’au jour de 2004 où, de son Orient natal, surgit de l’ombre l’empereur mondial de l’acier, Laskhmi Mittal. Fort de son Himalaya de roupies, qui n’étaient point de sansonnet, il se rendit chez quelques experts internationaux de la communication matrimoniale et allongea sur leurs bureaux des chèques dont le nombre de zéros laissait présager ce que serait la dimension des voiles de sa fille Vanisha, 23 ans, au matin de son mariage avec le jeune banquier Amit Bhatia, de deux ans son aîné. De devis en devis, l’addition frisa vite la bagatelle de 55 millions d’euros — le coût d’un Airbus A320. Mittal avait commencé à la dure, en Inde, en manipulant des vieilles tôles sur les chantiers de son ferrailleur de père ; et ce qu’il voulait s’offrir, pour les noces de sa fille, c’était rien moins que Paris. Pour cinq jours, mais tout à lui. Il mit donc le prix. A l’attention de ses six cents invités, il se loua deux palaces, plus le jardin des Tuileries, le parc de Saint-Cloud, le château de Versailles, et pour finir en beauté, le domaine de Vaux-le-Vicomte. Chaque épisode de l’hyménée fut soigné dans ses plus minces détails : le faire-part — vingt pages de texte et d’aquarelles — fut présenté au domicile de chaque invité sur plateau d’argent massif de 5 kg. Pour le transfert du staff et des invités ( 2800 personnes au total) réquisition de six Boeing d’Air India. A l’arrivée de la famille Mittal à son palace, parade et roulements de tambours. Cinq jours durant, pont aérien, depuis l’Inde, aux fins de transborder des menus spéciaux pour les convives végétariens. Temple hindou acheminé en kit, puis reconstitué dans le Parc de Saint-Cloud. Déluge œnologique : 5000 mouton-rothschild, 3800 moêt et chandon, 2300 dom pérignon 1996. Et pour parachever ce festival de turbans, soieries, jaquettes, diamants, feux d’artifice et défilé de Rolls, touche finale aux Tuileries : un rugissant tigre du Bengale encagé au milieu d’une mini-jungle artificielle…Une fois encore, on estima ce faste matrimonial insurpassable. Jusqu’en septembre 2005 : cette fois, ce fut Bernard Arnaud, le roi du luxe à la française, qui réinterpréta à sa façon la loi du « en veux-tu, en voilà » édictée par Madonna. Mais lui, pour les noces de sa fille Delphine, c’est dans le style qu’il en remit. Rolls, certes, mais vintage. Pour la mariée, bien sûr, traîne interminable. Mais en tulle de soie incrusté de dentelle, s’il vous plaît, et de paillettes de cristal lustré — 350 heures de travail signé Dior, comme il se doit. Le tout orchestré façon France éternelle, sur fond de musique classique, dîner aux chandelles et Château-Yquem. Dans les chaumières, à ce moment-là, on observa une forte remontée du rêve du mariage classique, façon Cendrillon. Et chez les Américains, qui ne savent pas toujours ou situer l’hexagone, une tendance accusée aux épousailles « Vieille Europe ». Ainsi l’an passé, Tom Cruise et sa fiancée Katie Holmes crurent épater la galerie en organisant leurs scientologues noces dans un château italien. Chez les fans, demi-flop. On nota aussi, il y a quelques mois, une tentative hardie de mix entre les fastes britanniques et indiens, avec le mariage de Liz Hurley et d’Arun Nayar. Mais en malgré la location d’un magnifique manoir anglais, le déplacement des festivités au Rajasthan, dans le somptueux palais du maharadjah de Jodhpur, pas moyen de coiffer les records du trio Madonna-Mittal-Arnaud. D’après les sociologues, cependant, ces récentes médiatisations nuptiales à répétition ont sérieusement conforté la tendance, en France, au passage devant monsieur le maire, en dépit du Pacs et de la banalisation du concubinage. Ces images ont été plus fortes que les pressions familiales, et même que les incitations fiscales… Et si le mariage se borne désormais à légaliser des unions bien installées, que les enfants du couple tiennent souvent la traîne de l’épousée et que la liste de mariage avec porcelaine de Limoges est définitivement pulvérisée par « l’enveloppe » ( 4000 euros en moyenne) qui permettra de payer le voyage de noces aux Maldives ou l’écran plasma du salon, l’embouteillage de ces derniers mois à la porte des églises et mairies révèle, d’après eux, une volonté appuyée de stabilité. Au mépris des statistiques — un mariage sur trois se conclut par un divorce… Une « méga-teuf » en somme, en forme de défi au zapping qui ne cesse de secouer nos vies. En respectant à la lettre la règle en vigueur chez les people : surprendre, et en remettre. Jet-setteurs gravissant le parvis de la Madeleine sous les objectifs de TF1, la 6 et Canal réunis, et tourtereaux de Dugudu-sur-Oison en char à bœufs décoré d’arums face aux seules caméras de la cousinade, même combat. Et même cri de victoire : nous deux, on a gagné contre la menace qui plane sur les amours du monde entier… Du coup, des agents spécialisés, les Wedding planners, se sont rués sur ce juteux marché: d’entrée de jeu, le Français moyen est prêt à se délester de 11 000 euros pour en mettre plein la vue à 80 invités… En trois coups de cuiller à pot, ils font de vous un people d’un jour, en adaptant à votre budget les trouvailles relatées par les gazettes lors du mariage de telle ou telle célébrité. Mariage provençal avec concert de flutiaux, russe avec tziganes, breton à grand renfort de binious, tahitien avec tamouré, à l’accordéon façon guinguette 1900, épousailles à cheval, en parachute, en combinaison de plongée, lâcher de papillons, envol de chouettes blanches, averse de fraises Tagada, église entièrement moquettée de blanc, steppe mongole reconstituée sous tente géante, pièce montée carambar pour les nostalgiques de l’Ile aux Enfants, on vous fait tout, et davantage encore, chez les wedding planners. Moyennant un petit supplément, on vous prendra en charge les deux nouveaux musts en matière nuptiale : le brunch qui suit le grand jour, et l’EVJF qui se doit de le précéder, ce fameux enterrement de vie de jeune fille où les nouveaux codes en vigueur imposent qu’on déploie les mêmes trésors d’inventivité qu’au jour J. Ainsi, si vous voulez sortir des sempiternels descentes strip-tease dans une boîte d’Apollons body-buildés des biceps aux fessiers, et que vous séchez sur la meilleure façon de bizuther votre meilleure amie future mariée, l’agence vous concoctera un parcours clefs en main, fourniture de panoplie de prostituée, commande de sucettes-phallus à distribuer dans le métro et autres joyeusetés en forme d’amuse-bouche prénuptiaux, devant quoi nulle jeune fille, désormais, n’aurait le mauvais goût de faire la fine bouche…Mais ils sont unanimes, ces fabricants de rêve nuptial en kit: mariage people ou noces du populot, il y a un point sur tout le monde se retrouve: l’instant du« oui ». Là, exigence universelle de romantisme et d’un moment sacré. Et volonté identique de tout faire, amour, délices et orgues, pour que monte la petite larme. Et si c’était ça, plus que le reste, qui expliquait la « vague blanche » ? Dans notre monde pollué et si inquiet de lui-même, à tous les étages de la société, l’envie du plus pur, du plus rare, du moins dit : le sentiment ?